dimanche 30 novembre 2025

« Retour en 1914 », l’éditorial de Sébastien Crépel.



Le XXIe siècle nous tire chaque jour un peu plus en arrière. On croyait avoir touché le fond avec la furie guerrière et génocidaire qui ensanglante la planète, le trumpisme triomphant qui ringardise le bushisme des années 2000 en érigeant le mensonge éhonté en loi des relations internationales, la poussée des extrêmes droites dans le monde et singulièrement en Europe, où elle dirige déjà chez plusieurs de nos voisins, à commencer par l’Italie, la COP30 qui accouche d’une souris, la fuite en avant antidémocratique d’un président de la République qui déstabilise les institutions françaises…

On n’avait pas encore tout vu du pire. Celui-ci a pris, le 18 novembre, l’air débonnaire du chef d’état-major des armées prônant le retour du militarisme le plus débridé. Son propos a suscité une bronca, à gauche notamment, à la mesure du choc ressenti. « Si notre pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants – parce qu’il faut dire les choses –, de souffrir économiquement – parce que les priorités iront à de la production de défense, par exemple – ; si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque », a déclaré le général Mandon devant les maires de France.

Alors qu’on se croyait revenu par certains côtés aux années 1930, quand menaçait l’ombre grandissante du fascisme dans l’entre-deux-guerres, nous voilà brusquement projetés avant 1914. Exagération ? En 1908, le général Cardot (1838-1920), grand lecteur de Clausewitz, écrivait : « Il faut trouver le moyen de conduire les gens à la mort, sinon, il n’y a plus de guerre possible ; ce moyen, je le connais ; il est dans l’esprit de sacrifice, et non ailleurs. » Si la formule est brutale, l’idée est la même, contenue dans la notion de sacrifice propre à « l’existence, avant 1914, d’une pensée commune à d’éminents responsables militaires, et vraisemblablement à une partie des élites politiques » 1.

Hier l’ennemi prussien, aujourd’hui le Russe : l’époque a changé, mais la rhétorique qu’on croyait disparue ressurgit. À ceux qui ont cru d’abord à un simple dérapage du chef d’état-major, Emmanuel Macron a répondu en réaffirmant sa « confiance » au général et en fustigeant les « surréactions » et « l’esprit de défaite ». Déjà, Raphaël Glucksmann se presse pour faire l’union sacrée derrière le chef de l’État, tandis que Libération s’offusque : les enfants de France ont-ils perdu le sens du sacrifice, vraiment ?

Ne nous y trompons pas. Derrière la maladresse du général, c’est bien une nouvelle opération de propagande belliciste qui se prépare. En témoigne le battage médiatique sur le thème du retour de la conscription précédant la venue du chef de l’État à la caserne de Varces (Isère), ce jeudi 27 novembre. Ce faisant, on se rapproche du précipice, dans le fil de la campagne sur le passage en « économie de guerre » entamée au printemps 2024, quand il faudrait, au contraire, consacrer tous les efforts au dialogue, à la diplomatie et à la paix.

Dès le 16 mars 2024, le Monde appelait sans fard Emmanuel Macron à « préparer le pays à un soutien accru, dans la durée, à l’Ukraine ». Et le journal d’insister : « Dans un contexte de crispation sur l’ampleur de la dette et les nécessaires économies budgétaires, (…) l’effort de pédagogie est indispensable », car « le refus d’une implication directe dans le conflit (russo-ukrainien) reste fort » chez les Français.

Et pour cause : ce sont toujours les mêmes qui paient le prix des guerres des puissants. « Les grands cœurs ont l’amour lugubre du martyre/Et le rayonnement du précipice attire/Ceux-ci sacrifiant, ceux-là sacrifiés », écrivait Victor Hugo. Le refus du sacrifice est l’ultime liberté des sacrifiés.

 

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