Le XXIe siècle
nous tire chaque jour un peu plus en arrière. On croyait avoir touché le fond
avec la furie guerrière et génocidaire qui ensanglante la planète, le trumpisme
triomphant qui ringardise le bushisme des années 2000 en érigeant le mensonge
éhonté en loi des relations internationales, la poussée des extrêmes droites
dans le monde et singulièrement en Europe, où elle dirige déjà chez plusieurs
de nos voisins, à commencer par l’Italie, la COP30 qui accouche d’une souris,
la fuite en avant antidémocratique d’un président de la République qui
déstabilise les institutions françaises…
On n’avait pas
encore tout vu du pire. Celui-ci a pris, le 18 novembre,
l’air débonnaire du chef d’état-major des armées prônant le retour du
militarisme le plus
débridé. Son propos a suscité une bronca, à gauche notamment, à la mesure du
choc ressenti. « Si notre pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à
accepter de perdre ses enfants – parce qu’il faut dire les choses –, de
souffrir économiquement – parce que les priorités iront à de la production de
défense, par exemple – ; si on n’est pas prêt à ça, alors on est en
risque », a déclaré le général Mandon devant les maires de France.
Alors qu’on se
croyait revenu par certains côtés aux années 1930, quand menaçait l’ombre grandissante
du fascisme dans l’entre-deux-guerres, nous voilà brusquement projetés avant
1914. Exagération ? En 1908, le général Cardot (1838-1920), grand lecteur
de Clausewitz, écrivait : « Il faut trouver le moyen de conduire
les gens à la mort, sinon, il n’y a plus de guerre possible ; ce moyen, je
le connais ; il est dans l’esprit de sacrifice, et non ailleurs. »
Si la formule est brutale, l’idée est la même, contenue dans la notion de
sacrifice propre à « l’existence, avant 1914, d’une pensée commune à
d’éminents responsables militaires, et vraisemblablement à une partie des
élites politiques » 1.
Hier l’ennemi
prussien, aujourd’hui le Russe : l’époque a changé, mais la rhétorique
qu’on croyait disparue ressurgit. À ceux qui ont cru d’abord à un simple
dérapage du chef d’état-major, Emmanuel Macron a répondu en réaffirmant sa « confiance »
au général et en fustigeant les « surréactions » et « l’esprit
de défaite ». Déjà, Raphaël Glucksmann se presse pour faire l’union
sacrée derrière le chef de l’État, tandis que Libération
s’offusque : les enfants de France ont-ils perdu le sens du sacrifice,
vraiment ?
Ne nous y
trompons pas. Derrière la maladresse du général, c’est bien une nouvelle
opération de propagande belliciste qui se prépare. En témoigne le battage
médiatique sur le thème du retour de la conscription précédant la venue
du chef de l’État à la caserne de Varces (Isère), ce jeudi 27 novembre. Ce faisant, on se rapproche du précipice, dans le
fil de la campagne sur le passage en « économie de guerre » entamée
au printemps 2024, quand il faudrait, au contraire, consacrer tous les efforts
au dialogue, à la diplomatie et à la paix.
Dès le
16 mars 2024, le Monde appelait sans fard Emmanuel Macron à « préparer
le pays à un soutien accru, dans la durée, à l’Ukraine ». Et le
journal d’insister : « Dans un contexte de crispation sur
l’ampleur de la dette et les nécessaires économies budgétaires, (…) l’effort de
pédagogie est indispensable », car « le refus d’une implication
directe dans le conflit (russo-ukrainien) reste fort » chez les
Français.
Et pour
cause : ce sont toujours les mêmes qui paient le prix des guerres des
puissants. « Les grands cœurs ont l’amour lugubre du martyre/Et le
rayonnement du précipice attire/Ceux-ci sacrifiant, ceux-là sacrifiés »,
écrivait Victor Hugo. Le refus du sacrifice est l’ultime liberté des sacrifiés.

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