C’était un
spectacle rare. L’un des milliardaires les plus riches du monde (à
touche-touche avec les Américains Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg,
Warren Buffett et Bill Gates), le Français Bernard Arnault a été durant
quelques heures, mercredi, un citoyen ordinaire. Un homme sans plus ni moins de
droits qu’un autre, à égalité avec tous les patrons appelés à
s’expliquer devant les sénateurs sur l’utilisation des fonds publics
par les groupes qu’ils dirigent. Quelle indignité ! Quel crime de
lèse-majesté ! Il n’y avait qu’à percevoir l’amertume du seigneur du CAC
40 pour mesurer sa réprobation.
En quelques
semaines, tout le gotha de l’industrie et des affaires a été auditionné
par la commission d’enquête sur les aides publiques aux entreprises (dont
le rapporteur, Fabien Gay, est sénateur et directeur de l’Humanité).
Entamés dans l’indifférence de la plupart des médias, ses travaux ont gagné en
publicité, alimentés par l’embarras ou la mauvaise foi de ceux-là mêmes qui
estimaient n’avoir pas de comptes à rendre de leur gestion.
Les principaux
arguments rabâchés devant ou au-dehors de la commission tiennent en un
syllogisme. Primo, il est impropre de parler d’aides publiques, puisque l’État
rend aux entreprises une partie de l’argent qu’il leur prélève. Secundo, les
parlementaires n’ont pas pour fonction de contrôler l’action des
entreprises privées. Tertio, il en découle que ces convocations et l’objet de
la commission frisent l’abus de pouvoir.
Depuis un quart
de siècle et la loi Hue de 2001 sur le contrôle des fonds publics accordés aux
entreprises – l’une des premières lois abrogées au retour de la droite aux
affaires en 2002 –, le monde et le capitalisme se sont profondément
transformés, mais non les rapports sociaux fondés sur l’inviolabilité de la
propriété du capital.
À l’heure où
200 à 250 milliards d’euros par an d’argent public – personne, même à
Bercy, n’a idée du montant exact – sont alloués aux employeurs dont
certains licencient avec cet argent, et tandis que les finances publiques
s’enfoncent inexorablement dans le rouge, la démocratie s’arrête toujours à la
porte des conseils d’administration. La mauvaise humeur de l’empereur du luxe,
exilé fiscal et ami de Trump, n’a fait que souligner cet archaïsme, à
l’origine de tant de gâchis humain, social, financier et environnemental.
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