J’ai déjà
évoqué le parfum des foins, des bois mouillés, de la mousse, du bois qui brûle,
des vieux poêles d’école, de la craie. Comme ceux des jardins arrosés les soirs
d’été, des prunes chaudes qui ont chu sur le sol et qui pourrissent, accablés
d’abeilles. Ainsi que ceux des tilleuls, des sureaux, des grains de blé, de
maïs, des séchoirs ouverts à tous les vents. Ce n’est pas le cas du parfum des
greniers, de leur sécheresse, des vieux objets qui ne serviront plus, de leur
poussière, des fleurs mises à sécher, des débris végétaux. Voilà un parfum qui
évoque ce qui ne dure pas, ce sur quoi le temps s’est acharné, un parfum qui ne
se console de rien : ni de vieillir ni de mourir un jour. Peut-être est-ce en
automne, plus qu’au printemps, que les parfums sont les plus lourds, les plus
épais, les plus présents. L’automne, c’est surtout la saison des marches en
forêt, du parfum puissant des arbres, des fougères et des champignons. Rien ne
sent meilleur qu’un panier de cèpes sur un lit de mousse. À seulement écrire
ces mots, j’en ressens l’humidité profonde, vivante, charnue, et je devine
celui qui montera de la poêle à peine chaude. On peut marcher des heures sans
trouver la moindre girolle, à respirer les sous-bois. Surtout s’il pleut. Alors
les parfums s’alourdissent, errent au ras du sol en vagues épaisses que les
jambes soulèvent, et pénètrent dans les poumons si profondément, si
intensément, qu’ils portent à la suffocation. Mais cette suffocation n’est pas
douloureuse, au contraire : elle ouvre les tissus, les régénère, donne au corps
l’impression de s’inscrire dans le monde végétal, d’en émerger soudain comme
une plante. Parfois s’y ajoute l’odeur d’écorce putréfiée, de vieille souche,
de feuilles en décomposition. Quand on sort de la forêt l’air nous paraît moins
riche, appauvri, à peine respirable. Alors on hisse son panier vers ses narines
pour prolonger le bonheur de la forêt perdue. L’hiver fige les parfums, les
vitrifie. Ils n’errent plus aussi facilement que pendant les saisons de
verdure. Seul celui des feuilles déchues monte durant les après-midi, quand le
gel a fondu. Mais dans ce vide des sens, surgit brusquement l’odeur des
cheminées, de la fumée de bois. Quelque chose nous soulève, nous transporte
aussitôt vers le jadis, nous offrant la certitude, que le feu de bois, venu des
très loin, du fond des âges. Il arrive que cette odeur surgisse en ville au
détour d’une rue : celle d’un foyer pauvre, qui se chauffe au bois, avec une
cuisinière ou un vieux poêle. J’en cherche la source et la découvre sans peine
: une modeste et petite maison de pierre, aux volets bruns, aux fenêtres
anciennes, étonnée d’être là. Le printemps réveille les parfums, mais pas avant
le mois de mai. Rarement en avril, sauf s’il ne fait pas froid. C’est d’abord
celui des fleurs des cerisiers sauvages, puis de l’herbe neuve, des premières
graminées, des jonquilles, enfin celui des feuilles. Il en est un que j’attends
: rare, léger, très doux, celui des cerises. Il dure au moins trois semaines,
et s’épaissit un peu sur la fin, quand les fruits sont bien mûrs. Le parfum des
aires de battage lors des moissons est perdu. Ce sont les grands céréaliers qui
moissonnent avec des machines géantes. Si le parfum des blés s’éteint, demeure
au moins celui des chaumes, chaud comme le pain, qui nous parle d’étés
interminables, de battages caniculaires, de paille et de grains, des balles en
suspension dans un air épais comme une soupe, de repas sous les chênes, de
rires et de chants.
samedi 10 août 2024
NOUVELLE « PARFUMS » !
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