mercredi 19 juin 2024

« Bascule », l’éditorial de Marion d’Allard dans l’Humanité.



Ne jamais confondre climat et météo. Si l’assertion vaut pour les scientifiques, elle est au figuré parfaitement adaptée aux affaires publiques. À l’œuvre depuis deux décennies, la recomposition politique bouleverse le paysage, chamboule les hémicycles. Exit le choc de 2002. L’eau sale a coulé sous les ponts. L’extrême droite prospère, lentement mais sûrement, nourrie de la désespérance sociale, renforcée par la médiatisation outrancière de la parole xénophobe. Et chaque scrutin avive la menace de voir se matérialiser sa victoire. Tous les signaux sont là, depuis longtemps et les progressistes ont tiré maintes fois le signal d’alarme. Souvent bien seuls, trop seuls.

L’orage a fini par éclater. Le coup de tonnerre de la dissolution a déclenché le déluge. Le RN est sur le perron de Matignon et, face à la menace, il en est qui résistent – la gauche, unie sous la bannière du Nouveau Front populaire – ; il en est qui l’accompagnent – les rétrogrades et les racistes de tous bords – ; il en est, enfin, qui s’en accommodent. Et ce sont eux, si difficiles à appréhender, qui pourraient bien acter la périlleuse bascule. Des cabinets ministériels aux couloirs des grandes administrations, certains sont prêts à lâcher la rampe. Par loyauté républicaine ? Elle ne saurait justifier la compromission. Par ambition personnelle ? Elle ne saurait piétiner les valeurs démocratiques des serviteurs de la République.

Étourdissante inversion des valeurs. Sous les tirs croisés des éditorialistes bollorisés, des dignitaires de la droite dite républicaine, des macronistes – ou de ce qu’il en reste – et des apologistes de l’extrême droite, le Nouveau Front populaire est poussé hors du champ républicain, quand le RN, lui, y entre désormais tout entier. Ainsi, la force jadis honnie est devenue acceptable. « Être le supplétif du RN n’est pas une ambition mais un constat de renoncement », confie Nicolas Sarkozy dans les colonnes du Journal du dimanche, de Geoffroy Lejeune, interrogé sur les noces funestes de Ciotti et de Bardella. Nulle critique de la matrice idéologique du RN. Tout juste la déception égocentrée de ne pas faire la course en tête. En cuisine, comme en politique, le gratin n’est finalement pas si décollé des nouilles.

 

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