On parle beaucoup en ton nom, ces derniers jours. Tu
te serais même transformée en arc, préférant l’extrême droite et ses idées
autoritaires et racistes à une partie de la gauche. Tu le sais pourtant mieux
que quiconque : les premiers t’ont toujours
combattue, ils ont même failli t’abattre ; les seconds t’ont toujours défendue, au péril de leur vie. Comment en est-on arrivé à ce moment
de bascule, où les valeurs sont brouillées ?
Un de tes enfants est mort sous le tir d’un policier à
Nanterre. Il s’appelait Nahel. L’émotion légitime a laissé place à la colère
– violente, quasi mutilatrice, qui a emporté des biens publics et privés.
Voici que celles et ceux qui subissent ton absence au quotidien par
l’assèchement des services publics ont été les premiers touchés par cette
violence – une double peine.
Plutôt qu’un débat politique et citoyen sur le rapport
entre la police et les classes populaires de banlieue, sur le manque dans tous
les domaines pour instaurer véritablement l’égalité républicaine au cœur de ta
devise, nous avons droit au discours nauséabond de l’extrême droite et de ses
alliés. Selon eux, il faudrait faire le tri entre tes enfants, savoir qui est
français et « comment » pour mieux exclure. Le discours de l’ordre est aussi de retour. Étouffer la
colère, ne surtout pas s’attaquer aux causes. Mais toi, tu le sais, il ne peut
y avoir de retour à « l’ordre républicain » sans justice sociale, environnementale et pour Nahel.
Après les Minguettes, il y a quarante ans ; Zyed et Bouna,
il y a dix-huit ans, la justice doit enfin être au rendez-vous.
Il faut bien le dire : tout le monde est perdu. Les élus locaux, abandonnés par l’État, qui te font vivre avec un bout de ficelle et des
sparadraps. Le tissu associatif, culturel et sportif, jamais à court d’idées et de talents mais qui a vu ses moyens amputés avec
la fin des contrats jeunes. S’ils étaient aidés comme les entreprises, sans
contrepartie, tu imagines ?
Nul besoin de démagogie ou de discours victimaire, ni
d’un énième plan banlieues qui finira enterré après une annonce en grande
pompe. Les banlieues ne demandent qu’à entrer dans les politiques publiques au
même titre que le reste du pays. Contrairement à la fable colportée par
l’extrême droite, on ne déverse pas des milliards pour leurs habitantes et
habitants qui ne paieraient pas d’impôts. Cela aussi, tu le sais : en France,
tout le monde paie la TVA, l’impôt qui rapporte le plus au budget de l’État, mais aussi le plus injuste car, que l’on soit au Smic ou millionnaire, on paie la même chose.
Vivre en banlieue, c’est donc payer le même impôt,
sans bénéficier du même service. Il faut trois fois plus de temps à Bobigny
qu’à Paris pour divorcer. On ne compte plus les dysfonctionnements dans les
transports. Un élève perd une année de scolarité pour cause de non-remplacement
de professeurs absents. Les exemples se déclinent dans tous les secteurs : emploi,
logement, santé, sport, culture…
Il nous faut reconstruire ce qui a été détruit, et
vite. La banlieue a de la liberté et de la fraternité à revendre, mais elle a
surtout soif d’égalité. En particulier, il faut retisser du lien entre tes
enfants. Rien ne sert d’opposer banlieues et territoires ruraux ou ultramarins : ils
subissent les mêmes symptômes des politiques austéritaires et libérales dépeçant les services
publics – qui constituent pourtant ton socle.
Il nous faut arrêter la machine infernale de la
division enclenchée par les libéraux autoritaires et les semeurs de haine, et
te rebâtir dans un effort constant pour nous montrer dignes de toi : une République démocratique, laïque, sociale et féministe,
partout sur le territoire.
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