jeudi 13 juillet 2023

« La Fête nationale défigurée », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Les Français qui ont pris la Bastille sans demander l’autorisation des puissants, il y a 234 ans, mériteraient-ils de célébrer la Fête nationale cette année? La question peut se poser, à lheure où certains sarrogent le droit de décider qui fait partie de la République et qui n’en est pas, dans une version dénaturée de cette grande œuvre du peuple de France. La gauche, héritière de Jean Jaurès qui n’a eu de cesse de se battre pour la construire et l’approfondir, est sur le point d’être excommuniée par le nouveau parti de l’ordre, rassemblant les élites «modérées» jusquaux droites extrêmes.

Profitant de l’exacerbation des tensions qui a suivi la mort de Nahel à Nanterre, certains poussent leur avantage en prétendant trier les «vrais» et les «faux» Français. De LR au RN, on traite les quartiers populaires comme une 5e colonne, tandis qu’est déniée, dans un langage qui n’a rien à envier au pire répertoire fasciste, l’appartenance à la nation de jeunes Français nés en France révoltés par les exactions de la police. En se servant de la figure de «l’émeutier» comme dun repoussoir, les nouveaux Tartuffe cherchent à escamoter les clivages de classe pour fédérer le patron comme louvrier des campagnes, le bourgeois des beaux quartiers et le travailleur précaire des cités, chacun étant mis en demeure de choisir son camp: qui nest pas pour le «retour à lordre» est forcément complice du feu et du chaos.

On mesure la dérive idéologique de la droite quand on réécoute les paroles de Jacques Chirac après l’embrasement des cités de 2005: «Je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, quils sont tous les filles et les fils de la République.» Ces mots d’un président qui n’avait pourtant rien de gauche – et qui ne les a nullement traduits en actes par la suite – lui vaudraient sûrement aujourd’hui un procès en trahison de la part de ses héritiers politiques. Emmanuel Macron s’honorerait pourtant à reprendre ces paroles à son compte, ce 14 Juillet, s’il ne veut pas d’une Fête nationale défigurée par les divisions et la haine qu’on attise jusque dans son camp.

 

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