Le 11 décembre 1851 au soir, à la gare du nord qui n’est encore qu’un « embarcadère » de chemin de fer, dit-on, un voyageur monte dans le train pour Bruxelles. De taille moyenne, le visage encadré de cheveux longs tombants, il a dans sa poche un passeport au nom de Jacques-Firmin Lanvin, ouvrier imprimeur. Ce n’est pas sa véritable identité, ni son vrai métier. Cet homme au « front monumental », aux « prunelles d’aigle », comme le décrit Théophile Gauthier, c’est Victor Hugo.
Une légende en exil
Victor Hugo a alors 50 ans et un vécu
fulgurant. Académicien français depuis 10 ans, pair de France par la grâce de
Louis – Philippe, il est élu maire du 8è arrondissement de Paris en 1848, puis
député l’année suivante. C’est à la fois un écrivain à succès et une
personnalité politique en vue. Auteur inspiré, empli de lyrisme épique mais
aussi de compassion, il émeut le cœur du public tant avec ses poèmes, Odes
et ballades, Les Feuilles d’automne, qu’avec ses romans, Le
dernier jour d’un condamné – Livre de combat contre la peine capitale.
Ou encore Notre Dame de Paris qui montre en Quasimodo le
monstre poignant, la coexistence du sublime et du grotesque, la beauté qui se
cache sous la laideur. En cette fin de l’année 1851, Victor Hugo est un homme
qui compte et qu’on écoute. De Républicain, il bascule à gauche. Son discours
fleuve contre la misère et l’égoïsme des nantis, prononcé à l’Assemblée le 9
juillet 1849, scandalise la majorité de ses collègues. Les conservateurs des
partis de l’Ordre. Cette prise de position provoque dès lors un retentissement
considérable. Victor Hugo au soir du 2 décembre 1851 signe un appel virulent à la
résistance armée : « charger son fusil et se tenir prêt ».
Commence alors le temps de la répression. Plusieurs amis d’Hugo, Paul Meurice,
Auguste Vacquerie ainsi que ses fils Charles et François-Victor, déploient une
activité intense destinée à résister au coup d’Etat. Victor Hugo accuse
Louis-Napoléon de haute trahison, il est recherché par la police. Victor Hugo
choisit l’exil.
Dans le train qui le mène en Belgique,
il emporte dans ses bagages ses fulgurances de visionnaire, ses grands projets
pleins d’humanité. Et les livres qui lui restent à écrire : La
Légende des siècles ou les Misérables. Il emporte
aussi l’amertume du vaincu et une haine monumentale envers
« l’usurpateur » qui s’est emparé du pouvoir. Rien ne l’apaisera. Dès
son arrivée à Bruxelles, il jette sur le papier son pamphlet
« Napoléon-le-Petit ». Il faut alors réunir la famille, prendre les
dispositions nécessaires, et fuir avant la parution en août 1852. La famille
Hugo décide de se séparer de son mobilier parisien. Pour abriter son exil, Hugo
choisit alors l’île de Jersey, terre francophone et libérale. « Celle
île solitaire que la libre Angleterre couvre de son vieux pavillon ». L’exil
est vécu comme une injustice, un deuil traversé de crises de découragement.
Dans sa maison de Marine Terrace, à la Grève-d’Azette, il se livre au
spiritisme et, surtout entame une intense production littéraire. Puis il
publie « Les Châtiments », pamphlet vengeur contre
Napoléon III. Les exemplaires sont alors expédiés en France attachés à des
ballons ! D’emblée Hugo projette d’assortir ses œuvres de portraits afin
d’entretenir sa légende, alors que son existence bascule dans l’Histoire. Il
décide de se lancer dans la photographie et fait installer un atelier dans sa
maison de Jersey.
Hugo père met en scène les
photographies, choisit les sites et les poses. Son œil averti compose, à la
manière d’un peintre, des vues qui apparaissent comme les illustrations de ses
vers composées dans la même veine. Ainsi dans le portrait de Victor
Hugo sur la grève d’Azette photographié en 1852. Hugo tient
d’abord à se rappeler au souvenir des français en tant que résistant, fidèle
défenseurs des idéaux républicains de 1848 et rejetant toute compromission.
L’assurance de la pose, la stabilité de la composition dont il apparaît comme
le pivot, renvoient à la conclusion d’« Ultima Verba ». « Et
s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
L’exil de la Liberté
Puis Hugo trempe à nouveau sa plume dans
l’encre de la liberté. Il signe une lettre où il critique la visite de la reine
Victoria à Paris. Il est alors expulsé de Jersey et gagne l’île de Guernesey le
31 octobre 1855. Madame Hugo, sa fille Adèle, Charles et le fidèle Auguste
Vacquerie le rejoignent. Le poète se félicite : « On y parle
français et l’on y vit très bien à bon marché ». Alors il
achève Les Contemplations. Cette œuvre lyrique qui paraît
simultanément en avril 1856, à Bruxelles et à Paris est qualifiée par Hugo
lui-même de « poésie pure ». La vente des Contemplations permet enfin
à Victor Hugo d’acquérir une maison.
Hauteville House est à elle seule une
œuvre. Une œuvre littéraire, un roman, une nouvelle. Un autoportrait de Victor
Hugo. Une autobiographie. Adèle, très réservée, y voit une façon de s’ancrer
dans l’exil. Hugo concentre toute son énergie à l’aménagement de cette demeure.
La famille y emménage le 5 novembre 1856. La maison est remplie d’ouvriers.
Hauteville house devient une création hugolienne, « un véritable
autographe à trois étages » dira Charles.
Le 18 août 1859, dans une courte
déclaration, Victor Hugo refuse publiquement l’amnistie de tous les condamnés
politiques. « Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis à vis de ma
conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la Liberté. Quand La Liberté
rentrera, je rentrerai ». Commence alors l’exil volontaire.
Le 5 septembre 1870, suite à la défaite de sedan et la capitulation de
Napoléon III, la république est proclamée. Victor Hugo, accompagné de Juliette,
de Charles et de sa famille, rentre en France après 19 années d’exil.
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