Son premier
bain de foule fut pour la petite île italienne dont le nom est devenu
synonyme du drame des migrants péris en mer. C’était en 2013, à
Lampedusa. Le symbole d’un pontificat qui vient de s’achever par la mort
de François, le lundi de Pâques. Son dernier voyage officiel remonte à
décembre, en Corse. La Méditerranée, encore. Cette « mare
nostrum » qu’il disait devenue « mare mortuum », nécropole des
déshérités morts d’avoir rêvé d’une vie meilleure.
Tout au long de
ses douze années à la tête de l’Église catholique, François n’a cessé de
plaider contre « la mondialisation de l’indifférence » et pour la
tolérance. Et de ramer contre le courant nauséabond des idées xénophobes qui
déferlent, de l’Amérique à l’Inde en passant par l’Europe. Au point d’indisposer
fortement ceux qui se réclament de la même foi, et qui reprochent à Jorge Mario
Bergoglio, de son vrai nom, de trahir les « racines chrétiennes » de
l’Occident. « Je ne suis pas d’accord avec lui et je considère d’ailleurs
que le pape n’a pas à se mêler de politique », avait cinglé Marion
Maréchal, à l’occasion de la venue du souverain pontife sur l’île de
Beauté. Un comble, de la part de celle qui a fait de la religion un critère
discriminant de sa politique. En février, François s’était opposé par courrier
à la politique migratoire de Donald Trump, accusée d’attenter à la dignité
humaine. En 2023, Emmanuel Macron lui-même avait refusé de faire pénitence,
après les propos du saint-père, en visite à Marseille. « La Méditerranée,
berceau de la civilisation, devient tombeau de la dignité. Ce sont les cris
étouffés des frères et sœurs migrants », avait tancé le pape dans la cité
phocéenne, comme un désaveu de la politique inhumaine de son hôte envers les
exilés. La France n’a « pas à rougir » de sa politique d’accueil et
d’intégration, avait rétorqué ce dernier.
Son engagement
pour les pauvres et les migrants, inséparable de son combat pour la paix à
Gaza, en Ukraine et ailleurs, et pour la préservation de la planète, faisait de
François une personnalité de rassemblement des bonnes volontés par-delà les
convictions religieuses. Sa conscience et sa constance manquent déjà à
tous les vrais humanistes, croyants ou non, qui refusent que la misère et la
souffrance soient une fatalité. En cela, l’homme de foi servait une cause
séculière, politique au sens le plus noble, car non seulement motivée par
la générosité – ce qui aurait déjà suffi à son honneur – mais aussi par une
conscience aiguë des réalités et des évolutions du monde : il
était un pape moderne, qui agissait en réformateur.
Rendre hommage
à sa constance, à son courage aussi – celui d’avoir bousculé les dogmes sur
l’homosexualité, sur la place des femmes et sur les violences sexuelles dans
l’Église – ne fait pas pour autant de l’apôtre de Lampedusa un saint, au
sens laïc s’entend. Ses positions rétrogrades contre l’IVG pratiquées par
des médecins comparés à des « tueurs à gages », ou contre
une prétendue « idéologie du genre » trouvaient des échos
dans les milieux les plus réactionnaires. Héritier d’une curie
ultraconservatrice, avec Jean-Paul II et Benoît XVI pour prédécesseurs, on
retiendra que François a d’abord choisi ses ruptures. La guerre pour sa
succession s’ouvre, et rien ne prédit que le prochain pape s’inscrira dans ses
pas. Certes, François a désigné la plupart des cardinaux électeurs, mais
son héritage divise. Les catholiques intégristes veulent tourner la page.
Gagner l’appui du Vatican, ou au moins le neutraliser, serait un acquis de
poids pour l’extrême droite qui menace nos démocraties.
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