Les plus sombres analyses de l’intellectuel Eduardo Galeano se réalisent
sous nos yeux. Dans Sens dessus dessous, le romancier et essayiste
uruguayen pointait les risques majeurs d’un capitalisme débridé et hégémonique.
L’avènement de Javier Milei, qui occupera la fonction de président de
l’Argentine le 10 décembre, concrétise la funèbre prophétie du regretté
Galeano, qui voulait croire en un sursaut alternatif.
L’extrême droite débarque donc en force à la Casa Rosada, quatre décennies
après la fin de la dictature aux 30 000 morts et disparus. Le programme du
« Fou », l’un de ses nombreux surnoms, glace jusqu’au sang :
privatisations, école et santé publiques réduites à néant, libéralisation du
port des armes et de la vente d’organes, dynamitage de la Banque centrale et
dollarisation de l’économie. Le libertarien, antiféministe et
climato-sceptique, de surcroît, a hurlé
aux quatre vents qu’il tailladera, à coups de
tronçonneuse s’il le faut, l’État et les avancées sociétales du kirchnérisme.
Le choc est dur à encaisser, même si la victoire de Javier Milei n’est pas
un accident. Malgré la grossièreté, l’outrance et la dangerosité du personnage,
cet ancien bouffon de la télévision et chantre d’un libéralisme exalté a su
jouer de la défiance de ses concitoyens sur fond de faillite économique
structurelle.
Une part importante de l’électorat, dont les primo-votants, a été séduite
par la violence d’un discours radical contre la « caste » politique,
coupable de l’inflation galopante qui a plongé 30 % des foyers dans la
pauvreté.
Le candidat antisystème est pourtant le pur produit d’un système en crise,
qui ne trouve aujourd’hui d’issue que dans les populismes et les fascismes. Sa
vice-présidente, Victoria Villarruel, s’est d’ailleurs chargée de tisser des
relations avec les formations d’extrême droite, dont les néofranquistes de Vox.
L’oligarchie dite traditionnelle porte une lourde responsabilité dans cette
élection. L’ancien président Mauricio Macri a ouvertement roulé pour Javier
Milei, qui a d’ailleurs bénéficié d’un incroyable report des voix de la
candidate de droite, Patricia Bullrich. La gauche, prise dans ses contradictions
et ses renoncements, devra, elle aussi, tirer les conclusions de cette
catastrophe. Après les années Trump et Bolsonaro, voilà que Javier Milei plonge
l’Argentine dans des jours incertains et lugubres.
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