mercredi 14 juin 2023

« Big Brother », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



À l’aube des années 1990, décidé à faire de Levallois-Perret une ville laboratoire en matière sécuritaire, son maire, Patrick Balkany, inaugurait les premières caméras de vidéosurveillance dans l’espace public. Avec la promesse de faire reculer la délinquance en pariant sur leur effet dissuasif, sans «épier les faits et gestes des Levalloisiens». Trois décennies plus tard, l’indignation suscitée par ce dispositif orwellien s’est dissipée; la vidéosurveillance sest généralisée; ses thuriféraires lont abusivement rebaptisée vidéoprotection; les attentats du 11-Septembre et le contexte quils ont installé ont contribué de façon décisive à lacceptation sociale de tels dispositifs.

La preuve de leur efficacité n’a pourtant jamais été établie: en 2020, la Cour des comptes épinglait, dans un rapport sur les polices municipales, le coût exorbitant de la vidéoprotection, sans qu’aucune «corrélation globale» n’ait été relevée entre son existence et le niveau de délinquance ou encore les taux d’élucidation. Ce constat n’a pas freiné la course aux technologies de surveillance de masse, des systèmes biométriques à la reconnaissance faciale, de l’identification par radiofréquence et de l’audiosurveillance, à l’exploitation par l’État ou par des acteurs privés des données contenues dans les objets connectés.

Après la «guerre contre le terrorisme» et la pandémie de Covid, une nouvelle étape doit être franchie en 2024 à l’occasion des jeux Olympiques de Paris, parfaite opportunité d’expérimentation pour les apôtres du tout-sécuritaire. À la clé, la promesse de juteux profits – économiques ou politiques. Deux votes au Parlement vont dans ce sens: ladoption, le 7 juin, au Sénat, dune dangereuse disposition du projet de loi Justice autorisant le déclenchement à distance des micros et caméras des téléphones mobiles à l’insu des personnes ciblées; la validation, le 23 mars, par les députés, de larticle 7 de la loi sur les JO prévoyant la possibilité dexpérimenter lanalyse, au moyen dalgorithmes, dimages de caméras de vidéosurveillance. Nouvelles manifestations de l’abîme entre les professions de foi démocratiques et la restriction continue du champ des libertés individuelles et collectives. Aux portes du pouvoir, l’extrême droite s’en frotte les mains. 

 

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