dimanche 22 juin 2025

« Rejet de la taxe Zucman, un scandale démocratique », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité Magazine.



Ce n’était pourtant pas le grand soir fiscal. Juste une proposition de loi visant à taxer à 2 % le patrimoine des 0,01 % des Français les plus riches. Soit 1 800 contribuables dont la fortune s’élève à plus de 100 millions d’euros. Faites vos calculs : même avec cette taxe, il resterait encore aux plus « pauvres » d’entre eux 98 millions d’euros pour assurer leurs fins de mois difficiles… Cette mesure aurait surtout permis de rapporter 20 milliards d’euros aux finances publiques. Une somme non négligeable en période d’austérité budgétaire, pour investir dans les services publics et l’urgence écologique.

Après avoir été adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture, le 20 février, la proposition de loi a donc été retoquée par le Sénat le 12 juin. Seuls 129 sénateurs, dont certains centristes, ont pris position en sa faveur, face à 188 voix contre. À l’heure où le gouvernement taille à la hache dans les dépenses publiques et assure qu’il lui faut trouver 40 milliards d’euros, il se prive de la moitié de cette somme, sans le début d’un argument valable.

Le refrain est toujours le même, rabâché sur tous les tons de la novlangue macronienne : le « signal négatif aux investisseurs étrangers », et la menace de « l’exil fiscal des foyers ciblés ». Cet épouvantail, asséné depuis des décennies comme un argument d’autorité, ne s’appuie pourtant sur aucune réalité. Toutes les études sur le sujet sont unanimes : l’exil fiscal en réponse à l’imposition de la fortune est un phénomène marginal. Mieux, la proposition de loi Zucman présentait justement une innovation intéressante en la matière : un bouclier anti-exil fiscal, qui soumettrait les éventuels exilés fiscaux à cet impôt plancher de 2 % jusqu’à cinq ans après leur départ.

Cette opposition gouvernementale à la taxation des plus riches n’est pas qu’une aberration budgétaire et politique, mais aussi un véritable scandale démocratique. Un sondage Oxfam réalisé en septembre révélait que 80 % des Français étaient favorables à une taxation des contribuables les plus riches. Une étude de la Fondation Jean-Jaurès, qui a épluché les fameux cahiers de doléances du grand débat national de 2019, démontre également que les citoyens plébiscitent un système fiscal plus progressif, afin que les plus fortunés participent davantage à l’effort de solidarité nationale.

Aujourd’hui, en France, un milliardaire paie proportionnellement moins d’impôts que sa secrétaire. « Il semble en effet difficile de demander des efforts aux autres catégories sociales avant d’avoir corrigé cette anomalie de nos lois fiscales qui permet aujourd’hui à nos plus grandes fortunes de se soustraire, en grande partie, aux charges communes », concédait le 11 juin Jean Pisani-Ferry, dans les colonnes du Monde. Loin d’être un dangereux gauchiste, en 2017, l’économiste avait soutenu Emmanuel Macron et participé à son programme. Depuis l’élection de ce dernier, les 500 premières fortunes ont vu leur patrimoine exploser, passant de 200 à 1 200 milliards d’euros. L’Hexagone est devenu un véritable paradis fiscal pour les milliardaires.

Une telle injustice ne pourra pas durer indéfiniment. La minorité présidentielle n’est pas sans savoir que l’histoire de notre pays est jalonnée de révoltes fiscales, qu’en France la justice de l’impôt est au cœur de l’adhésion démocratique. En sursis, le gouvernement Bayrou devrait prendre la question un peu plus au sérieux. Malgré le rejet du Sénat, la gauche prépare le match retour de la loi Zucman pour l’automne. Si la minorité présidentielle n’est pas tombée entre-temps, un nouveau refus de taxer les plus riches pourrait lui coûter une censure.

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