Ce n’était
pourtant pas le grand soir fiscal. Juste une proposition de loi visant à taxer à 2 % le
patrimoine des 0,01 % des Français les plus riches. Soit 1 800 contribuables dont la fortune
s’élève à plus de 100 millions d’euros. Faites vos calculs : même
avec cette taxe, il resterait encore aux plus « pauvres » d’entre eux
98 millions d’euros pour assurer leurs fins de mois difficiles… Cette
mesure aurait surtout permis de rapporter 20 milliards d’euros aux
finances publiques. Une somme non négligeable en période d’austérité
budgétaire, pour investir dans les services publics et l’urgence écologique.
Après avoir été
adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture, le 20 février,
la proposition de loi a donc
été retoquée par le Sénat le 12 juin. Seuls 129 sénateurs, dont certains centristes, ont pris position en
sa faveur, face à 188 voix contre. À l’heure où le gouvernement taille à
la hache dans les dépenses publiques et assure qu’il lui faut trouver
40 milliards d’euros, il se prive de la moitié de cette somme, sans le
début d’un argument valable.
Le refrain est
toujours le même, rabâché sur tous les tons de la novlangue macronienne :
le « signal négatif aux investisseurs étrangers », et la menace de
« l’exil fiscal des foyers ciblés ». Cet épouvantail, asséné depuis
des décennies comme un argument d’autorité, ne s’appuie pourtant sur aucune
réalité. Toutes les études sur le sujet sont unanimes : l’exil fiscal en
réponse à l’imposition de la fortune est un phénomène marginal. Mieux,
la proposition de loi Zucman présentait justement une innovation intéressante
en la matière : un bouclier anti-exil fiscal, qui soumettrait les
éventuels exilés fiscaux à cet impôt plancher de 2 % jusqu’à cinq ans
après leur départ.
Cette
opposition gouvernementale à la taxation des plus riches
n’est pas qu’une aberration budgétaire et politique, mais aussi un véritable scandale démocratique. Un
sondage Oxfam réalisé en septembre révélait que 80 % des Français étaient
favorables à une taxation des contribuables les plus riches. Une étude de la
Fondation Jean-Jaurès, qui a épluché les fameux cahiers de doléances du grand
débat national de 2019, démontre également que les citoyens plébiscitent
un système fiscal plus progressif, afin que les plus fortunés participent
davantage à l’effort de solidarité nationale.
Aujourd’hui, en
France, un milliardaire paie proportionnellement moins d’impôts que sa
secrétaire. « Il semble en effet difficile de demander des efforts aux
autres catégories sociales avant d’avoir corrigé cette anomalie de nos lois
fiscales qui permet aujourd’hui à nos plus grandes fortunes de se soustraire,
en grande partie, aux charges communes », concédait le 11 juin
Jean Pisani-Ferry, dans les colonnes du Monde. Loin d’être un
dangereux gauchiste, en 2017, l’économiste avait soutenu Emmanuel Macron et
participé à son programme. Depuis l’élection de ce dernier, les
500 premières fortunes ont vu leur patrimoine exploser, passant de
200 à 1 200 milliards d’euros. L’Hexagone est devenu un véritable
paradis fiscal pour les milliardaires.
Une telle
injustice ne pourra pas durer indéfiniment. La minorité présidentielle n’est
pas sans savoir que l’histoire de notre pays est jalonnée de révoltes fiscales,
qu’en France la justice de l’impôt est au cœur de l’adhésion démocratique. En
sursis, le gouvernement Bayrou devrait prendre la question un peu plus au
sérieux. Malgré le rejet du Sénat, la gauche prépare le match retour de la loi
Zucman pour l’automne. Si la minorité présidentielle n’est pas tombée
entre-temps, un nouveau refus de taxer les plus riches pourrait lui coûter une
censure.
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