Séparation : Janvier 2015
c’était hier, en quelque sorte. Des vies s’éteignaient, et des noms entraient
dans l’Histoire par l’une des plus tragiques portes de l’enfer. Charb, Cabu,
Tignous, Wolinski, Honoré, Elsa Cayat et leurs collègues tombaient sous les
balles de terroristes islamistes, acteurs revendiqués d’un projet obscurantiste
conduisant à la mort et à l’anéantissement de toute perception humaine.
Des heures et
des jours d’horreur qui, depuis, se reproduiront souvent dans la France de
Voltaire et d’Hugo. Dix ans après la disparition de nos camarades et amis de Charlie
Hebdo, dont certains étaient collaborateurs de l’Humanité et
des acteurs assidus de la Fête de l’Humanité, la caricature politique domine
toujours… quand les caricaturistes rasent encore les murs. Tandis qu’un mot, un
mot suprême, est prononcé partout et heureusement : laïcité.
Rappelons que
notre pays est une vieille nation de conscience(s) et que l’histoire de la
laïcité ne se résume pas à la loi de 1905, puisqu’elle fut durant des siècles
la bataille de la raison contre les dogmes et les funestes épousailles des Églises
et du pouvoir. En 2025, nous commémorerons justement les 120 ans de la
grande loi de séparation des Églises et de l’État. Après avoir redit qu’il ne
saurait y avoir de laïcité supra-historique échappant aux évolutions du temps,
il n’est pas vain, toutefois, de critiquer et de dénoncer ceux qui,
inlassablement, agitent la loi de 1905 comme un chiffon rouge supposé.
“Une certaine
idée de la République.”
Redéfinitions : Une petite
mise à jour en forme de définition vaut mieux, parfois, que de longs discours
enflammés : ainsi, la laïcité n’est pas une religion d’État, ni, au nom de
l’athéisme, le dernier degré du théisme. L’historien Jean-Paul Scot le rabâche
souvent : « La laïcité est le fruit d’une longue bataille pour la
liberté et l’égalité, indissociable de celle pour la démocratie politique et
sociale. »
L’heure serait
donc toujours si grave pour que nous nous sentions obligés de se remémorer
quelques redéfinitions élémentaires, alors que, depuis le règne de Nicoléon, de
multiples tentatives de projets de loi se sont multipliées (celle dite sur les
« séparatismes » en 2021, par exemple) afin de détricoter cette
histoire républicaine chèrement acquise. Notre laïcité repose en effet sur
l’articulation des principes de liberté absolue de conscience, d’égalité des
droits et de neutralité de l’État à l’égard de toutes les convictions.
Souvenons-nous
que Jean Jaurès affirmait, le 2 août 1904, dans son journal l’Humanité :
« Démocratie et laïcité sont identiques car la démocratie n’est autre
chose que l’égalité des droits. La démocratie fonde en dehors de tout système
religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social. » Et
il ajoutait, après avoir proposé que la suppression du budget des cultes serve
à alimenter le premier fonds des retraites ouvrières : « Laïcité
et progrès social sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les
deux. » Le 23 mai 1905, le même Jaurès écrivait dans ses
colonnes que la loi de séparation allait ouvrir « la lutte
décisive entre la France moderne et les prétentions les plus exorbitantes de la
théocratie la plus audacieuse et la plus aveugle ».
Exigence : Comprenons
bien. La laïcité n’est pas une idéologie antireligieuse, mais un idéal
d’émancipation, un principe d’organisation politique et sociale et la garantie
du droit de chacun à affirmer ses différences dans le respect mutuel de tous,
par la tranquillité et la neutralité de l’État – et de l’espace public.
Comme le disait
le philosophe et médiologue Régis Debray dans France laïque. Sur quelques
questions d’actualité (Gallimard, 2020) : « La laïcité
est une exigence. De quoi ? De frontières. Une frontière n’est pas un mur.
C’est un seuil. Pour distinguer un dedans d’un dehors. (…) Le respect de cette
démarcation requiert incontestablement un effort sur soi-même, une retenue,
disons une discipline – à quoi prépare en principe l’éducation civique à
l’école. L’individu est censé s’effacer derrière sa fonction, comme les
intérêts particuliers derrière l’intérêt général. » Pas mieux.
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