vendredi 6 septembre 2024

« Rentrée(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.


 


Exergue : Droitisation de la France, vraiment ?

Résonance Drôle d’été, étonnante rentrée. Jaurès le disait en son temps : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. » Les temps changent. Et le concept même de « rentrée » ne possède plus que la lointaine saveur d’un retour en arrière mélancolique. Après les séquences électorales, le Tour de France, la parenthèse enchantée des jeux Olympiques puis Paralympiques, les événements états-uniens, la suite des guerres en Ukraine et à Gaza, sans parler de quelques drames çà et là qui distillèrent, par leur surgissement imprévisible, des ombres de doute sur l’état du monde, le sentiment du bloc-noteur, en ce début septembre, se résume plutôt par ces mots : le macronisme, c’est long, surtout vers la fin…

Plus de cinquante jours de consultations, d’oscillations, de tergiversations, dont la résonance antidémocratique n’aura échappé à personne. Les écrivains du futur s’amuseront à détailler « l’époque » et se demanderont comment un pouvoir suprême, celui d’un prince-président élu, monarque d’une Ve République à bout de souffle, aura pu à ce point organiser le vide d’une nation comme la France, l’une des patries de la politique, désormais assommée et presque réductible à un Mac Macron II, lui-même rétréci, embrouillé, qui se rêve encore en Machiavel au petit pied.

Injonction Les Français, qui, sur injonction présidentielle, ont voté trois fois en un mois, ont assisté, avec un mélange de stupeur et d’irritation, à ce temps gaspillé. D’autant que, malgré leur vote aux législatives, une autre injonction leur tombe de nouveau sur le dos depuis des semaines : la fameuse « droitisation » de la société française, devant laquelle on ne pourrait rien, sinon s’incliner. Donc en tirer toutes les conclusions, en acceptant des décisions politiques toujours plus droitières et économiquement ultralibérales.

Reste un fait : l’extrême droite a beaucoup progressé dans les urnes. De même, la banalisation des idées xénophobes et réactionnaires se constate un peu partout où nous avons la chance de voyager sur le territoire, comme si la parole n’avait plus de filtre, comme si l’espace public était devenu un déversoir de l’inacceptable.

Tout cela est vrai. Pourtant, le politiste Vincent Tiberj, auteur de la Droitisation française, mythe et réalités (éditions du PUF), conteste, dans les grandes lignes, le glissement mécanique des électeurs vers un conservatisme pur et dur. Selon lui, « s’il y a bien une droitisation à l’œuvre, c’est celle des acteurs de notre vie politique, pas des citoyens », déclare-t-il cette semaine dans un entretien accordé au Nouvel Obs.

Il précise d’ailleurs : « Les résultats des élections, marquées par une forte abstention, ne reflètent pas l’évolution de la société française. La droite et ses médias imposent des thèmes de débat, et de son côté, la gauche assume mal ses convictions. C’était criant lors de la dernière campagne : exceptionnellement courte, elle n’a pas permis d’aborder des questions comme les inégalités sociales, la redistribution, les impôts. Les maigres débats ont été dominés par l’insécurité et l’immigration. » Et Vincent Tiberj insiste : « Mais ce que montrent les enquêtes sur les valeurs des Français ne va pas du tout dans ce sens : ils sont devenus de plus en plus ouverts et tolérants vis-à-vis des minorités : immigrés, homosexuels, juifs… Et la demande d’égalité et de solidarité ne faiblit pas. »

Demain Malgré la mutation mortifère des médias, marquée par une polarisation d’une ampleur et d’une nature inédite, les valeurs dites « de gauche », universelles et authentiquement républicaines, seraient donc plus que jamais, et très largement, partagées : tolérance des minorités, attachement aux services publics, égalité… « Cette droitisation du débat public a contribué à détourner des citoyens des urnes et à amplifier ce que j’appelle la » grande démission » des électeurs, explique le politiste. Il ne faut jamais oublier que l’abstention est massive dans les classes populaires : 46 % des ouvriers n’ont pas voté aux dernières législatives. » La France des votants actuels ne serait donc pas nécessairement la France de demain. Pour Vincent Tiberj, il y a une condition : que la gauche cesse de « se laisser dicter les enjeux par la droite et l’extrême droite ». Une bonne feuille de route pour la rentrée, non ?

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