Exergue : Droitisation de la
France, vraiment ?
Résonance Drôle d’été, étonnante rentrée.
Jaurès le disait en son temps : « Il ne faut avoir aucun
regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance
inébranlable pour l’avenir. » Les temps changent. Et le concept
même de « rentrée » ne possède plus que la lointaine saveur d’un
retour en arrière mélancolique. Après les séquences électorales, le Tour de
France, la parenthèse enchantée des jeux Olympiques puis Paralympiques, les
événements états-uniens, la suite des guerres en Ukraine et à Gaza, sans parler
de quelques drames çà et là qui distillèrent, par leur surgissement
imprévisible, des ombres de doute sur l’état du monde, le sentiment du
bloc-noteur, en ce début septembre, se résume plutôt par ces mots : le
macronisme, c’est long, surtout vers la fin…
Plus de cinquante jours de consultations, d’oscillations, de
tergiversations, dont la résonance antidémocratique n’aura échappé à personne.
Les écrivains du futur s’amuseront à détailler « l’époque » et se
demanderont comment un pouvoir suprême, celui d’un prince-président élu,
monarque d’une Ve République à bout de souffle, aura pu à ce
point organiser le vide d’une nation comme la France, l’une des patries de la
politique, désormais assommée et presque réductible à un Mac Macron II,
lui-même rétréci, embrouillé, qui se rêve encore en Machiavel au petit pied.
Injonction Les Français, qui, sur injonction
présidentielle, ont voté trois fois en un mois, ont assisté, avec un mélange de
stupeur et d’irritation, à ce temps gaspillé. D’autant que, malgré leur vote
aux législatives, une autre injonction leur tombe de nouveau sur le dos depuis
des semaines : la fameuse « droitisation » de la société
française, devant laquelle on ne pourrait rien, sinon s’incliner. Donc en tirer
toutes les conclusions, en acceptant des décisions politiques toujours plus
droitières et économiquement ultralibérales.
Reste un fait : l’extrême droite a beaucoup progressé dans les urnes.
De même, la banalisation des idées xénophobes et réactionnaires se constate un
peu partout où nous avons la chance de voyager sur le territoire, comme si la
parole n’avait plus de filtre, comme si l’espace public était devenu un
déversoir de l’inacceptable.
Tout cela est vrai. Pourtant, le politiste Vincent Tiberj, auteur de la
Droitisation française, mythe et réalités (éditions du PUF), conteste,
dans les grandes lignes, le glissement mécanique des électeurs vers un conservatisme
pur et dur. Selon lui, « s’il y a bien une droitisation à
l’œuvre, c’est celle des acteurs de notre vie politique, pas des
citoyens », déclare-t-il cette semaine dans un entretien accordé
au Nouvel Obs.
Il précise d’ailleurs : « Les résultats des élections,
marquées par une forte abstention, ne reflètent pas l’évolution de la société
française. La droite et ses médias imposent des thèmes de débat, et de son
côté, la gauche assume mal ses convictions. C’était criant lors de la dernière
campagne : exceptionnellement courte, elle n’a pas permis d’aborder des
questions comme les inégalités sociales, la redistribution, les impôts. Les
maigres débats ont été dominés par l’insécurité et l’immigration. » Et
Vincent Tiberj insiste : « Mais ce que montrent les enquêtes
sur les valeurs des Français ne va pas du tout dans ce sens : ils sont
devenus de plus en plus ouverts et tolérants vis-à-vis des minorités :
immigrés, homosexuels, juifs… Et la demande d’égalité et de solidarité ne
faiblit pas. »
Demain Malgré la mutation mortifère des médias, marquée par une polarisation
d’une ampleur et d’une nature inédite, les valeurs dites « de
gauche », universelles et authentiquement républicaines, seraient donc
plus que jamais, et très largement, partagées : tolérance des minorités,
attachement aux services publics, égalité… « Cette droitisation du
débat public a contribué à détourner des citoyens des urnes et à amplifier ce
que j’appelle la » grande démission » des
électeurs, explique le politiste. Il ne faut jamais oublier
que l’abstention est massive dans les classes populaires : 46 % des
ouvriers n’ont pas voté aux dernières législatives. » La France
des votants actuels ne serait donc pas nécessairement la France de demain. Pour
Vincent Tiberj, il y a une condition : que la gauche cesse de « se
laisser dicter les enjeux par la droite et l’extrême droite ».
Une bonne feuille de route pour la rentrée, non ?
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