mercredi 24 juillet 2024

UNE VIE !



C’est long une vie, et le temps pèse sur elle, chaque jour, jusqu’au dernier. Parfois, cependant, des instants nous arrachent à lui : ce sont des instants de grâce, de bonheur ineffable. Ils sont trop rares, et, le plus souvent nous ne nous y arrêtons pas suffisamment. Les miroitements entr’aperçus proviennent le plus souvent ; d’un lieu connu depuis toujours, suggérant une sorte de secret oublié. Ainsi, un matin de juillet, au bord du lac, dans le brouillard qui se levait : les rayons obliques du soleil venaient frapper l’eau qui fumait, le long de l’île où un héron, une patte en l’air s’interrogeait. Moi aussi je m’interrogeais. Qu’y avait-il d’extraordinaire ? J’avais souvent assisté à des levers de soleil à l’aube, sur le lac. Mais ce matin-là, la lumière était meilleure et sollicitait une mémoire plus ancienne que ma conscience. Les trembles ne bougeaient pas, l’eau s’était tue dans un silence qui traduisait des retrouvailles heureuses avec un versant oublié, un socle misérable. Ainsi, également, un soir d’été, je regardais tomber la nuit. Les lumières s’allumaient une à une, dans un silence que rien ne troublait, pas même l’aboiement d’un chien. Je me sentais apaisé et comblé, certain que rien, jamais, ne me délivrerait mieux de la douleur de vivre que ce soir qui tombait, cette douceur de l’air, ce sommeil qui engourdissait ma demeure d’Eauze, lieu de grands bonheurs et de beaux jours d’été, heureux avec toi, assis sur notre banc. L’autre soir, je m’y suis assis. Je t’imaginais à mes côtés, mais ce n’était qu’une ombre. J’ai alors quitté mon banc. Une nuit d’août, dans un rêve, sur un chemin éclairé par la lune, tout s’est arrêté : les étoiles se sont figées. Les feuilles des arbres se sont tues, je ne savais plus où j’étais, qui j’étais et pourquoi je me trouvais là, sinon pour regarder vers un seuil dont la lumière ne m’était pas inconnue. Je ne savais plus si j’étais jeune ou vieux, j’avais l’impression de marcher dans ma vie. Je me suis arrêté aux limites de notre monde, plus angoissé qu’heureux, mais aveuglé dès que, de ma fenêtre, j’ai levé les yeux vers le ciel. Il y a eu des rencontres, au cours de mes voyages, avec des lieux où je n’avais jamais mis les pieds, et qui, cependant, m’ont paru connus depuis toujours. Et aussi des éclats de lumière à travers les banches, des silences dans les arbres agités par le vent. Il y a eu des volutes blanches qui exprimaient une vérité évidente mais informulable, des tapis de feuilles qui formaient sur un chemin des figures oubliées, des flaques d’eau gelées, des odeurs puissantes de fruits, rien ou pas grand-chose, mais ces images, ces instants m’ont projeté dans le plus grand bonheur du monde, qui échappe à toutes les vaines richesses du réel et qui n’est plus accessible que par l’écriture. D’où cette quête d’une prodigieuse contrée, là où les orchestres se sont tus, mais où une musique, pourtant, continue de jouer, derrière la vitre du temps qui, parfois, mystérieusement, délicieusement se brise.

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