L’argent du livret A pourrait être utilisé dès 2024 pour financer le secteur de la défense. La proposition émanant d’un député Renaissance, formulée sous forme d’amendement – a été retenue par le gouvernement dans son projet de loi de finances pour 2024 adopté en première lecture grâce à l’article 49-3.
L’amendement stipule précisément que les montants des livrets A
et LDDS (livret de développement durable et solidaire) que les banques
conservent à leur bilan devront être en partie dédiés « au
financement des entreprises, notamment petites et moyennes, de l’industrie de
défense française ». L’épargne populaire pourrait financer
l’industrie de la défense. L’idée est ici de « flécher » vers le
secteur de l’armement les fruits de la collecte record sur les deux livrets
d’épargne défiscalisés préférés des ménages.
Cet
amendement ne concerne que les montants conservés par les banques à leur bilan
– soit environ 40 % des encours des livrets A et LDDS. Le reste, qui
est centralisé par les fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations
(CDC) pour financer les HLM et les collectivités locales, n’est donc pas concerné.
Ensuite, il faut savoir que les Caisses d’épargne, le Crédit mutuel et autre
Crédit agricole ont déjà pour obligation de consacrer l’équivalent de « 80 % » des
encours des livrets A et LDDS qu’ils conservent « pour
financer les PME, 10 % pour les projets contribuant à la transition
énergétique et à la lutte contre le changement climatique, et 5 % pour l’économie
sociale et solidaire ».C’est cette répartition qui va être chamboulée
par cet amendement – la quote-part sera
précisée ultérieurement – au financement du secteur de la défense.
Il y a,
du reste, quelque chose de cocasse à voir le livret A financer l’industrie
de l’armement. Lui qui avait historiquement été utilisé pour en réparer les
dégâts. Le livret A, a en effet été créé en 1818 sous le règne de Louis
XVIII pour capter l’épargne des Français et ainsi solder les dettes des guerres
napoléoniennes. De même, après la Seconde Guerre mondiale, l’épargne populaire
a été massivement mobilisée pour financer la reconstruction du pays, et
notamment l’habitat social.
Mais désormais très proche de ses sous,
l’État préfère solliciter le livret A plutôt que d’avoir recours à la
dépense publique pour soutenir davantage l’industrie de la défense. Que
l’exécutif accepte cette évolution des missions du livret A, a tout de
même surpris Mais l’air du temps étant malheureusement aux conflits
armés et à la souveraineté militaire, le ministère de la défense semble avoir
gagné un arbitrage sur le ministère de l’économie.
À
l’avenir, de nombreux secteurs de l’économie vont certainement lorgner l’argent
collecté sur les livrets A et LDDS. Et pas seulement la manne conservée
par les banques. En effet, au fil des ans, grâce à la forte hausse de la
collecte, les fonds d’épargne de la CDC ont constitué un véritable trésor de
guerre : « Avec l’épargne que nous collectons, nous avons une
capacité de prêt et d’investissement de 400 milliards d’euros.
170 milliards d’euros sont prêtés au logement social et 30 milliards
d’euros aux collectivités locales. Nous disposons de 200 milliards d’euros
pour financer d’autres choses », a déclaré le directeur général de la
CDC, Éric Lombard ». Et d’ajouter : « Sur les 200
milliards d’euros disponibles issus des fonds d’épargne, nous pourrions prêter
de l’ordre de 20 milliards d’euros au nucléaire, sur 10 ans au total »,
sans réduire la manne dédiée au logement social et aux collectivités locales,
assure-t-il.
Il y a donc fort à parier que les
missions du livret A évoluent nettement dans les prochains mois. Son image
de produit d’épargne populaire à la finalité sociale en serait érodée d’autant.
En ces temps où la pauvreté explose, comme l’a rappelé récemment l’Insee, où les services publics se dégradent au regard des besoins, et où la crise du logement s’aggrave, cela peut choquer. La
symbolique est d’autant plus terrible que le secteur HLM – que le livret A
finance – vit de son côté une crise de grande ampleur.
Mais aussi
à la politique de l’exécutif qui, depuis six ans, a cassé le modèle économique
du logement social – et donc sa capacité d’investissement – pour des raisons
purement budgétaires. Il a notamment imposé aux bailleurs sociaux, pour
compenser la réduction des APL des locataires des HLM, de baisser leurs loyers
d’autant. Ce qui a mécaniquement réduit leurs recettes – elles ont été grevées
durablement de 1,3 milliard d’euros par an – et donc leurs marges de manœuvre
financières pour lancer la production de nouveaux logements sociaux. À cela, il
faut aussi ajouter le passage de la TVA de 5,5 % à 10 % sur la
construction de logements sociaux qui a fragilisé leur modèle.
Résultat, les chiffres de production de
logements sociaux sont désastreux depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au
pouvoir. Quand, entre 2008 et 2017, de 112 000 à 145 000
nouveaux logements sociaux étaient financés chaque année, il n’y en a eu
qu’entre 87 000 et 108 000, de 2018 à 2022… soit une baisse de 22 % par an en moyenne ! Et il y a désormais
2,3 millions de demandes de logements sociaux en attente en France.
Certainement l’une des pires ombres au bilan d’Emmanuel Macron.
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