De
bon matin, sur le pas de sa porte, Gaston scrute le ciel d’un œil soupçonneux.
C’est aujourd’hui qu’il emmène Constance visiter la Gascogne et, pour ce faire,
il a besoin que le soleil soit de la partie. Quelques nuages floconneux
vagabondent, mais à l’est, une lueur rose pâle va grandissant, laissant bien
augurer de ce qui va s’ensuivre. Une belle journée se prépare à l’horizon et
Gaston est satisfait. Ses projets ne seront pas mis à mal par quelque averse
nocturne qui se serait prolongée le jour durant et aurait contrarié le bon
déroulement des heures à venir, tant il est vrai que Gaston, s’il est pourvu de
qualités qui font sa renommée, ne fait pas montre d’une joie sans mélange
lorsque l’idée qu’il a en tête est menacée par les caprices du temps ou les
contradictions de ses concitoyens. Son joyeux caractère passe alors, sans
prévenir, à la vitesse inférieure… Aujourd’hui, Constance profitera du meilleur
de sa forme. Ils se mettront en route, comme il l’a promis, vers le village de
LARRESSINGLE, petit Castelnau fortifié, surgissant au-dessus des vignes,
surprenant le voyageur par sa similitude, en miniature, avec la Cité de
Carcassonne, qui dresse sa fière silhouette dans le voisinage de Condom et de
son admirable cloître aux voûtes gothiques.
Le
soleil s’est levé. Gaston, équipé comme un pèlerin de Compostelle, flaqué de sa
gourde et de son bâton, se présente sur le seuil de la maison de Joséphine d’où
s’échappent déjà les effluves de la garbure aux légumes du jardin. Le chat
ronronne auprès de l’âtre, l’œil aux aguets, lové sur la chaise basse de sa
maîtresse qui s’y installe, les soirs d’hiver, écoutant la mélodie du feu qui
chante et laissant son esprit vagabonder au gré des volutes de fumée bleue.
Constance est prête. « Le chemin sera long » l’a prévenu Gaston. Au
moment du départ, Joséphine, prévoyante, l’informe de l’inévitable irruption,
dans a conversation de son compagnon de route et même des interlocuteurs
croisés en chemin, de quelques syllabes insolites et fleuries, typiquement
gasconnes. Elle ne doit pas s’en offusquer. Ce ne sont, ici, que des
ponctuations !... Intriguée, elle prend aussitôt, escortée de Gaston, le
chemin du village qu’ils doivent traverser parmi la nature. Les insectes
bourdonnants ont cessé leur danse folle et ont pris le chemin de la maison des
hommes où les araignées ont installé leurs quartiers d’hiver. Certaines, à la
taille plus impressionnante que celles des fragiles épeires des jardins, ont
déjà fait pousser des cris d’orfraie à la ménagère qui appelle au secours…
Gaston
et Constance cheminent entre les labours aux chaudes couleurs de terre de
Sienne qui s’étalent, gras et luisants, entre les replis des coteaux. Ils
complètent le paysage, le soulignent de leurs futures promesses et révèlent la
véritable nature de ce pays, en totale harmonie avec lui-même. Aux abords du
hameau succédant au village, ils rencontrent Antoinette, poussant une brouette
lourdement chargée. Elle va au lavoir. Toute sa vie elle a lavé le linge des
autres, savonnant, rinçant, frappant du battoir. Depuis le progrès est entré au
village avec la « mécanique » comme elle dit, et les lave-linge ont
fait leur apparition. Mais pas chez elle. « La mécanique ne remplace pas un
vigoureux brossage à la main » dit-elle. Elle va donc au lavoir, comme
avant, solitaire, courbée sur son ouvrage, dans un parfum d’autrefois et l’écho
évanoui du chant des laveuses. Il est ainsi de tenaces nostalgies qui ne
disparaissent qu’avec la mort. D’une maigreur extrême, toujours vêtue d’une blouse
noire à petites fleurs bleues, les pommettes saillantes sous des yeux gris et
doux, elle dégage la force et le courage de ces femmes d’autrefois qui
n’avaient d’horizon que la famille et le travail, et dont la seule distraction
se résumait au repos dominical pris l’après-midi, après l’ouvrage, assises sur
une chaise et écoutant chanter le rossignol. Elle échange quelques mots avec
Gaston, embrasse Constance, la nouvelle venue, qui recueille, reconnaissante,
le flot de chaleur humaine que lui a transmis, l’espace d’un instant, une
vieille femme inconnue.
Ils
marchent maintenant sous le soleil qui devient chaud. Gaston, est habitué des
chemins, connaît des raccourcis qui les conduiront, à travers champs vers le
but de leur randonnée. Constance est silencieuse. Un vent léger s’est levé et
les accompagne. Elle rythme son pas sur celui de Gaston et en profite pour
admirer à la ronde les mêmes couleurs répandues sur les arbres et les buissons.
On s’arrête cher Albert, vielle connaissance de Gaston, qui tient un café sous
les arcades de la petite bastide qu’ils traversent. Les tables en formica de la
terrasse portent encore des perles de rosée que s’empresse de faire disparaître
Albert dans un coup de torchon professionnel. Sympathique et bavard, il entame une
conversation émaillée de considérations toutes personnelles sur le temps qui
n’est plus ce qu’il était, sur le genre humain qui n’est pas mieux. Laissant
bientôt Albert à ses rêves d’un monde meilleur, ils reprennent la route à
travers la campagne paisible.
Brusquement,
au détour du chemin, LARRESSINGLE surgit de son écrin de verdure. Constance
admire ce minuscule village fortifié du XIIIème siècle cerné de son
rempart. Elle traverse le pont qui remplace l’ancien pont-levis et franchit la
haute porte. La petite place déserte tait ses souvenirs : le chemin de
ronde encercle l’église et le château dont les fenêtres à meneaux laissent
entrevoir un peu de ciel et abritent maintenant les oiseaux de passage.
Quelques échoppes font revivre ses ruelles quand reviennent les beaux jours,
dans le sillage d’un lointain passé se promenant sur les vielles pierres. Elle
flâne dans ce bastion surprenant, admirable dans sa majesté surannée. Le chemin
de ronde est désert mais semble habité de ces milliers d’âmes qui l’ont
parcouru au cours des siècles. Assises sur le rempart, elle laisse son regard
errer par-delà les vignes et les champs alentour. Gaston, enthousiaste et
joyeux, ne semble pas avoir l’intention de quitter ces lieux chargés d’histoire
sans avoir profité aussi de nourritures terrestres contemporaines dissimulées
dans les replis savants des crêpes fourrées de crème de pruneaux l’armagnac. Constance essaie d’endiguer le
flot mouvant de ses pensées, ne se régalant pas moins du contenu de son
assiette.
Puis
la balade se poursuit, jusqu’au pont d’ARTIGUES, un des derniers témoins du
passage des pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle. Construit sur
le site d’un pont romain enjambant la rivière de l’OSSE, à proximité de
LARRESSINGLE, chargé du poids des siècles, il est toujours là, devenu fragile
et solitaire, fidèle d’un monde disparu, alors qu’un hôpital-monastère et une
chapelle à proximité n’existent plus. Constance fatiguée après cette longue
marche, n’en arbore pas moins un sourire engageant sur les impressions
recueillies. Plus que l’indéniable et authentique beauté de la nature et des
témoins des siècles passés, ce sont les rencontres faites qui marqueront sa mémoire.
Le charisme d’Antoinette et la dureté de sa vie en un éclair supposée, la
sérénité et l’humanité touchantes de sa personne. La faconde de Gaston, son
exagération toute gasconne dans ses propos, son humour tout aussi issu de cette même terre, dont elle ne connaissait pas le
sel, ont une nouvelle fois, élargi sa perception de choses.
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