samedi 6 août 2022

Après les moissons !



Dans le Midi, le blé se fait rare, du fait qu’il est le plus souvent remplacé par l’orge et l’avoine. Quelle que soit la céréale cultivée, ce n’est pas son opulence de l’été qui nous touche le plus, mais les éteules après les moissons. Au plus haut de leur gloire, le blé comme l’orge, couvrent la terre d’une pelisse couleur de paille, parfois dorée, parfois plus pâle, où éclate le rouge vif des coquelicots. Dans l’orge, quelques graminées jaunes ou bleues émergent quelquefois. Ces tapis ondulent sous le vent avec une souplesse féline, et leur houle semble s’échouer contre les routes comme des vagues sur une plage. Ils sentent la farine et le pain, le chaud de l’été, la paille des moissons, les greniers, la terre sèche, le four des boulangers. Ils abritent des nichées de cailles et de perdrix dont on aperçoit parfois les parents inquiets dans les lisières, le long des haies. Ils demeurent sans cesse animés d’une vie qui vient de loin, du temps où les hommes cuisaient des galettes dans des foyers de terre. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus de champs de maïs. On les traverse aisément sans les abîmer : il suffit de se glisser dans une rangée entre les pieds qui sont assez espacés pour livrer le passage. On s’y aventure volontiers, pour couper court et gagner la rivière. Les maïs chuchotent, murmurent, délivrent des secrets. Même la nuit, sous la lune, ils ne cessent de commenter ce qui se passe autour d’eux et ce dont demain sera fait. En plein après-midi, leur ombre d’église verte est d’une agréable fraîcheur. On s’allonge sur la terre chaude entre les plus hauts pieds, et on les écoute, et ils parlent des hommes ; ils les jugent distants, pas assez soigneux des lisières, et redoutables par leurs engrais. Ils prétendent que la chimie les a changés, qu’ils ne ressemblent plus au maïs d’hier, et ils en souffrent. On les console comme on peut, en leur avouant que la chimie a aussi changé nos vies, et on soupèse leurs épis dont les grains, d’un jaune tendre, ont besoin de mûrir. On en arrache la barbe : ces filaments soyeux que les anciens faisaient bouillir en infusion, et servaient aux enfants, à s’harnacher de moustaches factices. La douce blondeur des maïs se situe à la hauteur exacte de la douceur de leur murmure. Ils savent ce qui les attend, mais ils ne se plaignent pas. À peine si, au début de l’automne, ils frémissent en voyant s’avancer ces machines modernes et qui vont les dévaster en moins d’une demi-journée. Les labours de l’automne, les grands lambeaux de terre charmée, d’un marron gras et luisant, forment de profonds sillons dominés par des lèvres épaisses qui parlent : elles racontent leur patience infinie, le sommeil de l’hiver et l’essor du printemps. Elles disent leur acceptation de la blessure, des grains qui vont tomber, de la force souterraine qui viendra éclore à la surface, comme chaque année depuis que les hommes ont inventé le labour. Derrière les tracteurs, se rassemblent les passereaux. Il faudra un nouvel automne pour qu’elle s’ouvre de nouveau sous un soc qui la fécondera

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