vendredi 8 juillet 2022

Les parfums !



On a souvent évoqué le parfum des foins, des bois mouillés, de la mousse, du bois qui brûle, des vieux poêles d’école, de la craie. Comme ceux des jardins arrosés les soirs d’été, des prunes chaudes qui ont chu sur le sol et qui pourrissent, accablés d’abeilles. Ainsi que ceux des tilleuls, des sureaux, des grains de blé, de maïs, des séchoirs ouverts à tous les vents ce n’est pas le cas du parfum des greniers, de leur sécheresse, des vieux objets qui ne serviront plus, de leur poussière, des fleurs mises à sécher, des débris végétaux. Voilà un parfum qui ce qui ne dure pas, ce sur quoi le temps s’est acharné, un parfum qui ne se console de rien : ni de vieillir ni de mourir un jour. Peut-être est-ce en automne, plus qu’au printemps, que les parfums sont les plus lourds, les plus épais, les plus présents. L’automne, c’est surtout la saison des marches en forêt, du parfum puissant des arbres, des fougères et des champignons. Rien ne sent meilleur qu’un panier de cèpes sur un lit de mousse. À seulement écrire ces mots, j’en ressens l’humidité profonde, vivante, charnue, et je devine celui qui montera de la poêle à peine chaude. On peut marcher des heures sans trouver la moindre girolle, à respirer les sous-bois. Surtout s’il pleut. Alors les parfums s’alourdissent, errent au ras du sol en vagues épaisses que les jambes soulèvent, et pénètrent dans les poumons si profondément, si intensément, qu’ils portent à la suffocation. Mais cette suffocation n’est pas douloureuse, au contraire : elle ouvre les tissus, les régénère, donne au corps l’impression de s’inscrire dans le monde végétal, d’en émerger soudain comme une plante. Parfois s’y ajoute l’odeur d’écorce putréfiée, de vieille souche, de feuilles en décomposition. Quand on sort de la forêt l’air nous paraît moins riche, appauvri, à peine respirable. Alors on hisse son panier vers ses narines pour prolonger le bonheur de la forêt perdue. L’hiver fige les parfums, les vitrifie. Ils n’errent plus aussi facilement que pendant les saisons de verdure. Seul celui des feuilles déchues monte durant les après-midi, quand le gel a fondu. Mais dans ce vide des sens, surgit brusquement l’odeur des cheminées, de la fumée de bois. Quelque chose nous soulève, nous transporte aussitôt vers le jadis, nous offrant la certitude, que le feu de bois, venu des très loin, du fond des âges. Il arrive que cette odeur surgisse en ville au détour d’une rue : celle d’un foyer pauvre, qui se chauffe au bois, avec une cuisinière ou un vieux poêle. J’en cherche la source et la découvre sans peine : une modeste et petite maison de pierre, aux volets bruns, aux fenêtres anciennes, étonnée d’être là. Le printemps réveille les parfums, mais pas avant le mois de mai. Rarement en avril, sauf s’il ne fait pas froid. C’est d’abord celui des fleurs des cerisiers sauvages, puis de l’herbe neuve, des premières graminées, des jonquilles, enfin celui des feuilles. Il en est un que j’attends : rare, léger, très doux, celui des cerises. Il dure au moins trois semaines, et s’épaissit un peu sur la fin, quand les fruits sont bien mûrs. Le parfum des aires de battage lors des moissons est perdu. Ce sont les grands céréaliers qui moissonnent avec des machines géantes. Si le parfum des blés s’éteint, demeure au moins celui des chaumes, chaud comme le pain, qui nous parle d’étés interminables, de battages caniculaires, de paille et de grains, des balles en suspension dans un air épais comme une soupe, de repas sous les chênes, de rires et de chants.

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