Réunis en
assemblée plénière du 2 au 8 novembre, les évêques de France doivent tirer les
conséquences du rapport Sauvé. De leur capacité à admettre les ravages commis
dans l’Eglise, à réparer les vies blessées et à engager de profondes réformes
dépend l’avenir de la première religion de France.
Editorial du « Monde ». Pour l’Eglise catholique, c’est peu de dire que le rapport Sauvé sur les abus sexuels commis en son sein, rendu public le 5 octobre, a fait l’effet d’une déflagration. La surprise est venue moins de la mise au jour d’un scandale déjà amplement connu, grâce aux témoignages des victimes, que de son ampleur – 216 000 personnes aujourd’hui majeures auraient été agressées sexuellement par des prêtres ou des religieux depuis 1950 – et du fait que l’Eglise soit désignée comme l’institution, en dehors de la famille, où de telles agressions sont de loin les plus fréquentes.
Dans l’Eglise, les abus sexuels ont un caractère « massif » et « systémique »,
a assené le rapport rédigé à la demande de l’épiscopat par l’ancien
vice-président du Conseil d’Etat. Les évêques français, réunis à Lourdes du 2
au 8 novembre en assemblée plénière, vont devoir décider des mesures à
prendre, non seulement pour réparer les vies blessées, mais aussi pour réformer
le mode de fonctionnement d’une institution où la dissimulation et la non-dénonciation
de délits et de crimes sexuels ont longtemps prévalu, et dont le discours sur
la sexualité masque un immense malaise.
L’heure n’est plus à l’inertie et aux atermoiements. A
la colère des victimes, s’ajoute désormais celle de nombre de catholiques, dont
76 % estiment, selon un sondage, que la réaction de la hiérarchie n’a pas
été à la hauteur des révélations du rapport Sauvé. Les évêques, tétanisés, ont
réagi maladroitement. Le refus de l’épiscopat d’inviter à son assemblée les
associations de victimes, préférant écouter des témoignages sélectionnés par
lui, fait craindre un repli dans l’entre-soi.
Mécanisme de « réparation financière »
Les évêques, après avoir eu le courage de confier à
une mission indépendante le soin de dresser un constat sans complaisance,
doivent en tirer toutes les conséquences. Les deux premières consistent à
coopérer sans réserve avec la justice sur les affaires en cours, et à
reconnaître la responsabilité de l’Eglise en tant qu’institution. Seule
pareille reconnaissance permettrait de mettre en œuvre le mécanisme de « réparation
financière » recommandé par le rapport Sauvé. Pour l’institution,
il soulève à la fois des inquiétudes financières – qui va payer ? – et des
questions théologiques – l’Eglise, assimilée au corps du Christ, peut-elle être
coupable ?
Pourtant, le rôle systémique de l’Eglise, désormais
établi, exige que soit reconnue, au-delà de la mise en cause individuelle des
agresseurs et de ceux qui les ont protégés, la responsabilité de l’institution
qui les a sélectionnés, formés, consacrés et employés et ne saurait échapper
aux réalités humaines.
L’Eglise ne peut en rester là : elle doit
remédier aussi à l’« excessive sacralisation de la personne du
prêtre » dénoncée par le rapport Sauvé, et à la marginalisation
des laïcs en général et des femmes en particulier. Certaines des évolutions
souhaitables supposent une réforme du droit canon, et donc une volonté du
Vatican. Mais l’Eglise de France devrait donner l’exemple en engageant, avec
les laïcs, une réflexion sans tabou sur leur implication dans la prise de
décisions, sur l’exclusion des femmes du sacerdoce et sur la sexualité.
Il ne faut pas s’y tromper : de la capacité des
évêques à reconnaître les ravages commis pendant des décennies, à entendre la
colère du public et à engager de profondes réformes, dépend l’avenir de la première
religion de France. Qui continuera de croire en son message de soutien aux
déshérités et aux plus fragiles si, après un tel scandale et des décennies de
déni, l’Eglise ne réagissait qu’en prenant des mesures cosmétiques ?
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