SAUTERIE : L’affaire est
un peu passée inaperçue. La scène, façon pince-fesses, verres de champagne et
connivences à outrance pour m’as-tu-vu de la haute, se déroule le 4 juin
dernier, au restaurant Baronne, à Paris. Les petits plats dans les grands, afin
de fêter le 70e anniversaire de la création d’Europe 1.
Il y a dix,
vingt ans en arrière, sans doute le bloc-noteur aurait-il assisté à la soirée,
histoire d’honorer les longues heures d’antenne avec l’ami Pierre-Louis Basse,
en un temps pas si lointain où la radio vantait la culture, le sport,
l’intelligence collective et surtout l’information. Nous n’en sommes plus là.
Et, cette fois, la sauterie de famille, en présence de nombreuses stars de la
droite, avait tout de la bollorisation des esprits.
Quatre jours
plus tard, le 8 juin, le JDD, hebdomadaire appartenant
lui aussi à Vincent Bolloré, dans une opération bien rodée d’autopromotion du
groupe (Canal Plus, CNews, CStar, Editis, Europe 1, RFM, Télé-Loisirs, Geo,
Gala, Voici, Femme actuelle, Capital, Paris
Match, etc.), affichait ses invités sur une pleine page :
Sarkozy, Darmanin, Wauquiez, Bayrou, Ciotti, Dati et, en majesté, l’espoir
présidentiel de toute la droite réactionnaire : Retailleau-le-voilà.
Quasiment tous des LR, aucune personnalité de gauche. Ils sont venus pour
cela : avoir les faveurs de celui qu’ils considèrent comme le faiseur de
roi pour 2027…
La droite réac
et le parrain Bolloré.
ADOUBER : Comme le
suggérait cette semaine Thomas Legrand dans sa chronique donnée à Libération,
« chacun d’eux consulte régulièrement le parrain Bolloré, qui les
choie ». Et il précisait : « Signe des temps où les
puissants ne sont plus les élus mais les empereurs de l’industrie,
propriétaires de médias, ce sont maintenant les LR qui se prosternent devant le
nouveau chef de clan et en font des tonnes pour être bien vus par Vincent
Bolloré. »
Avant
d’ajouter : « Tant pis si CNews, le JDD ou
Europe 1 passent leur temps à reprocher au gouvernement, dont LR fait
partie, d’être ”laxiste” ; tant pis si ce groupe de médias noircit toute
l’actualité et ”déjournalise” son journal, sa radio et sa télé pour en faire
les vaporisateurs des fantasmes de l’extrême droite. » Résumons :
les affidés LR fantasment en se disant « 2027 ! 2027 ! »,
avec une volonté affichée et affirmée, se faire adouber par Bolloré. Qu’importe
la manière… et les méthodes du magnat milliardaire.
ÉDITOCRATES : En effet, « il
est bien loin ce passé où Europe n° 1 (tel était son nom à l’époque) était
considérée comme la radio la plus libre et la plus inclassable »,
souvent « la plus innovante », comme l’écrit Thomas Legrand,
qui va encore plus loin dans son analyse : « Aujourd’hui, comme
les autres titres de Bolloré, elle est un instrument, non plus au service d’une
information journalistique (même d’opinion) mais d’une stratégie
gramscienne : instaurer une hégémonie culturelle réactionnaire et faire du
prochain président de droite son obligé. » Comme le dire mieux ?
Le bloc-noteur
ne se veut pas nostalgique, juste en colère. Jadis, quand la vie, l’amour, la
mort et surtout la politique s’invitaient sur les ondes et les écrans, beaucoup
de littérateurs endiablés continuaient à citer Sartre et Beauvoir, parfois même
Aragon ou Blanchot, et il n’était pas rare de s’entendre dire qu’un vrai « intellectuel
est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». Le lâchage
généralisé ressemble à un lynchage de l’intelligence, version
nationalo-nihiliste.
Dorénavant, les
éditocrates bollorisés insultent ouvertement Deleuze, Bourdieu ou Derrida,
déclarent que Marx est « mort » et avec lui la « gauche
de combat » et toute idée d’« émancipation collective »…
Les Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Ivan Rioufol et autres Michel Godet ou Robert
Ménard ont ouvert la voie depuis longtemps.
Nous voilà à un
point de non-retour, abrutis que nous sommes par la rhétorique des
discours-sur-tout et des donneurs de leçons-bien-répétées, qui octroie aux
titulaires de la chaire es-conservatrice le passeport du j’ose-tout. L’air
cathodique pestilentiel pollue nos écoutilles. Tous citent en cœur Philippe
Muray. Ce dernier disait pourtant : « Ce devant quoi une société
se prosterne nous dit ce qu’elle est. »
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