dimanche 15 juin 2025

« Affidé(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin.



SAUTERIE : L’affaire est un peu passée inaperçue. La scène, façon pince-fesses, verres de champagne et connivences à outrance pour m’as-tu-vu de la haute, se déroule le 4 juin dernier, au restaurant Baronne, à Paris. Les petits plats dans les grands, afin de fêter le 70e anniversaire de la création d’Europe 1.

Il y a dix, vingt ans en arrière, sans doute le bloc-noteur aurait-il assisté à la soirée, histoire d’honorer les longues heures d’antenne avec l’ami Pierre-Louis Basse, en un temps pas si lointain où la radio vantait la culture, le sport, l’intelligence collective et surtout l’information. Nous n’en sommes plus là. Et, cette fois, la sauterie de famille, en présence de nombreuses stars de la droite, avait tout de la bollorisation des esprits.

Quatre jours plus tard, le 8 juin, le JDD, hebdomadaire appartenant lui aussi à Vincent Bolloré, dans une opération bien rodée d’autopromotion du groupe (Canal Plus, CNews, CStar, Editis, Europe 1, RFM, Télé-Loisirs, Geo, Gala, Voici, Femme actuelle, Capital, Paris Match, etc.), affichait ses invités sur une pleine page : Sarkozy, Darmanin, Wauquiez, Bayrou, Ciotti, Dati et, en majesté, l’espoir présidentiel de toute la droite réactionnaire : Retailleau-le-voilà. Quasiment tous des LR, aucune personnalité de gauche. Ils sont venus pour cela : avoir les faveurs de celui qu’ils considèrent comme le faiseur de roi pour 2027…

La droite réac et le parrain Bolloré.

ADOUBER : Comme le suggérait cette semaine Thomas Legrand dans sa chronique donnée à Libération, « chacun d’eux consulte régulièrement le parrain Bolloré, qui les choie ». Et il précisait : « Signe des temps où les puissants ne sont plus les élus mais les empereurs de l’industrie, propriétaires de médias, ce sont maintenant les LR qui se prosternent devant le nouveau chef de clan et en font des tonnes pour être bien vus par Vincent Bolloré. »

Avant d’ajouter : « Tant pis si CNews, le JDD ou Europe 1 passent leur temps à reprocher au gouvernement, dont LR fait partie, d’être ”laxiste” ; tant pis si ce groupe de médias noircit toute l’actualité et ”déjournalise” son journal, sa radio et sa télé pour en faire les vaporisateurs des fantasmes de l’extrême droite. » Résumons : les affidés LR fantasment en se disant « 2027 ! 2027 ! », avec une volonté affichée et affirmée, se faire adouber par Bolloré. Qu’importe la manière… et les méthodes du magnat milliardaire.

ÉDITOCRATES : En effet, « il est bien loin ce passé où Europe n° 1 (tel était son nom à l’époque) était considérée comme la radio la plus libre et la plus inclassable », souvent « la plus innovante », comme l’écrit Thomas Legrand, qui va encore plus loin dans son analyse : « Aujourd’hui, comme les autres titres de Bolloré, elle est un instrument, non plus au service d’une information journalistique (même d’opinion) mais d’une stratégie gramscienne : instaurer une hégémonie culturelle réactionnaire et faire du prochain président de droite son obligé. » Comme le dire mieux ?

Le bloc-noteur ne se veut pas nostalgique, juste en colère. Jadis, quand la vie, l’amour, la mort et surtout la politique s’invitaient sur les ondes et les écrans, beaucoup de littérateurs endiablés continuaient à citer Sartre et Beauvoir, parfois même Aragon ou Blanchot, et il n’était pas rare de s’entendre dire qu’un vrai « intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». Le lâchage généralisé ressemble à un lynchage de l’intelligence, version nationalo-nihiliste.

Dorénavant, les éditocrates bollorisés insultent ouvertement Deleuze, Bourdieu ou Derrida, déclarent que Marx est « mort » et avec lui la « gauche de combat » et toute idée d’« émancipation collective »… Les Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Ivan Rioufol et autres Michel Godet ou Robert Ménard ont ouvert la voie depuis longtemps.

Nous voilà à un point de non-retour, abrutis que nous sommes par la rhétorique des discours-sur-tout et des donneurs de leçons-bien-répétées, qui octroie aux titulaires de la chaire es-conservatrice le passeport du j’ose-tout. L’air cathodique pestilentiel pollue nos écoutilles. Tous citent en cœur Philippe Muray. Ce dernier disait pourtant : « Ce devant quoi une société se prosterne nous dit ce qu’elle est. »

 

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