vendredi 28 mars 2025

« Rétroviseur », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



On connaît l’histoire de la grenouille qui périt faute de s’être aperçue que l’eau dans laquelle elle baignait s’est réchauffée lentement mais sûrement. Court-on le même risque que le batracien à s’accommoder toujours plus insensiblement de la banalisation du Rassemblement national ?

La visite de Jordan Bardella et Marion Maréchal en Israël s’inscrit dans cette transgression progressive de toute limite. Quoi de plus lourd de sens, pour les héritiers d’un parti fondé par d’ex-Waffen-SS, que d’être accueillis à bras ouverts dans un pays où ils ont toujours été déclarés indésirables ? Sans Benyamin Netanyahou et son invitation intéressée par le soutien à sa guerre génocidaire contre Gaza, la réception du gratin de l’extrême droite européenne à une « conférence contre l’antisémitisme » aurait été impensable.

Pour solde de tout compte, le président du RN, qui défendait en janvier l’héritage du multicondamné pour antisémitisme et négationnisme Jean-Marie Le Pen, prétend, en posant le pied dans le pays fondé par des survivants de la Shoah, ne pas faire de « politique dans le rétroviseur ». On croit rêver. L’insulte faite aux six millions de juifs assassinés par les nazis n’est pas seulement une provocation insupportable.

Elle est une étape essentielle du blanchiment de l’extrême droite pour en faire un recours crédible et acceptable par la bourgeoisie en cas d’épuisement de « l’extrême centre ». Loin de faire revenir le RN dans la République, cette opération vise à reporter la tâche de l’antisémitisme sur la gauche, en prélude à l’exclusion de cette dernière du champ politique, selon une entreprise de falsification de l’histoire et du présent complètement assumée. C’est-à-dire à semer les graines du fascisme.

Passant devant ses bourreaux à Nuremberg, la résistante communiste Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée du camp d’Auschwitz, murmurait intérieurement en les dévisageant : « En ce moment, ce sont des millions de morts qui vous regardent. » Jordan Bardella devrait méditer ces mots. C’est lui, aujourd’hui, que les regards des suppliciés poursuivent dans le « rétroviseur » quand il se promène toute honte bue au Mémorial de la Shoah Yad Vashem.

 

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