Elle court,
elle rôde, elle s’insinue dans les fentes des discours gouvernementaux. Elle se
répand comme une pandémie : la post-vérité, c’est-à-dire la négation des
faits et des réalités. Son internationale a pour épicentre la Maison-Blanche, à
Washington, qui attaque les libertés académiques et scientifiques, qui licencie
sans préavis la scientifique en chef de la Nasa (par ailleurs, co-présidente du
Giec), qui ferme des agences de l’État, le bureau de la technologie, de la
politique et de la stratégie, le bureau de la diversité, le ministère fédéral
de l’Éducation nationale, qui interdit des mots et en met d’autres sous
surveillance d’une police de la pensée.
Dans la grande malaxeuse politique et médiatique française et européenne,
on s’offusque, on proclame
ses désaccords la main sur le cœur. On affirme que les démocraties libérales
européennes sont des remparts contre les assauts réactionnaires, la
désinformation, la diffusion de théories du complot, que l’Union européenne est
le bouclier contre les coups de baïonnette portés aux flancs du droit
international. On voudrait y croire !
La République
française, son grand héritage des Lumières et l’Europe pourraient effectivement
constituer cette forteresse démocratique. Force est de constater, avec
tristesse et effroi, qu’elles ne sont en rien préservées des rafales soufflant
contre la vérité, contre le droit à l’information, contre les sciences et
contre l’université, dont, pourtant, nos sociétés ont un impérieux besoin pour
sortir des crises démocratiques, sanitaires, écologiques, climatiques, tout
comme de la crise de sens du travail.
Sans crier gare, ce mauvais vent du trumpisme et des droites extrémisées
secoue en France les libertés académiques, viole le principe de franchise universitaire, met en cause le droit à la
scolarité pour les étudiants étrangers venus de pays hors Union européenne. Sur
les bancs usés des simplistes des droites et extrêmes droites, on appelle à
démanteler le CNRS, l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). On laisse dégrader des
bâtiments de l’Institut national de la recherche agronomique et de
l’environnement (Inrae).
Seul un sursaut populaire peut permettre de réaffirmer avec force
l’attachement politique et philosophique à la vérité. Seule la reconstruction d’une ardente mêlée où
agissent prolétaires, ouvriers et paysans, chercheurs et créateurs,
enseignants, soignants, journalistes, militantes et militants associatifs,
féministes, antiracistes aux côtés d’intellectuels de toute profession peut
brandir le savoir comme bien commun contribuant à ouvrir des horizons
d’humanité.
C’est aussi l’une
des conditions pour réparer une fracture démocratique qui se transforme en
gouffre sous l’impulsion du président de la République et du Premier ministre,
dont un puissant complexe médiatico-politique effectue le service après-vente
avarié.
Les dangereuses injonctions présidentielles au surarmement et à la culture
de la tension ne sont l’objet d’aucun débat sérieux, d’aucune analyse
documentée, d’aucune expertise contradictoire. Le peuple est sommé d’acquiescer, de suivre et de
sacrifier son « pouvoir de vivre », au son des canons et au nom de la
géopolitique mondiale de laquelle on lui ôte toute prise.
De la négation
des résultats du référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005,
jusqu’au refus de prendre en compte les résultats des élections législatives de
juillet 2025, le puits de la défiance ne cesse de se creuser au point que le
risque d’y engloutir la République n’est plus exclu. Les résultats des votes,
la parole citoyenne, la démocratie représentative et la démocratie sociale
peuplent les cimetières des engagements non tenus.
Ni le puissant cri des gilets jaunes, ni celui de la majorité mobilisée
contre la loi du passage à la retraite à 64 ans, ni la convention
citoyenne sur le climat n’ont été pris en compte. L’argument est toujours le même : le sacro-saint
« principe de réalité ». C’est au nom de ce même principe, que le
surarmement est présenté comme une obligation, ou que le budget de la nation a
été imposé après moult manipulations des chiffres et d’une compromission avec
la majorité du groupe socialiste au Parlement, sous l’impulsion d’un ancien
président de la République qui en connaît un rayon en matière de manipulation
et d’organisation du parti confusionniste. Et voici que, en douce, alors que
les médias agitent d’autres chiffons troués, le Premier ministre ampute ce
mauvais budget de 9 milliards d’euros. Évidemment, le fameux
« principe de réalité » n’est que celui qui permet de défendre les
intérêts et les privilèges de classe des possédants.
Mais il convient de s’attarder sur le nouveau cap que vient de confirmer M.
Bayrou, ce Premier ministre issu de la minorité parlementaire :
l’organisation du coma de la démocratie représentative et de la démocratie
sociale.
Après avoir nié
qu’il ne connaissait rien de la sombre et violente vie qu’ont vécue des
dizaines d’élèves du collège Notre-Dame de Bétharram, le voici accouplant la
post-vérité à une sorte de dépassement de la défiance : la post-confiance.
Pour échapper à
la censure, il avait mis au point un mécano du grand mensonge en déclarant
remettre sur le chantier la contre-réforme des retraites imposée en
avril 2023. Au plus fort de sa duplicité, le Premier ministre, qui ne
s’était pas engagé à rouvrir le débat sur la loi des 64 ans mais sous les
voûtes solennelles de La république. En effet, Il s’y est engagé à
plusieurs reprises face aux représentants de la nation, notamment lors d’une
déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier. Sorte de
programme de l’action gouvernementale, le chef du gouvernement avait refusé un
vote de confiance (c’est tout dire) du Parlement, tout en se livrant avec
F. Hollande à des tractations d’arrière-cour pour ne pas être censuré. Les
paroles sont pourtant aussi limpides que la forfaiture à laquelle elles ont
donné lieu :
« La
loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans, fin
2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus
court terme, celle de [cet] automne (…). Nous pouvons rechercher une voie de
réforme nouvelle, sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la
retraite – les fameux 64 ans », déclarait M. Bayrou. Puis
dans une lettre de convocation, datée du 26 février 2025, adressée aux
syndicats et aux représentants des employeurs censés se réunir en ce fameux
« conclave », le Premier ministre confirmait son fictif
engagement : « La délégation paritaire pourra discuter de
l’ensemble des paramètres de notre système de retraites, sans totem ni
tabou. » On ne pouvait être plus clair. Évidemment, nous n’avions
aucune illusion sur les intentions et les résultats. M. Bayrou, au service
de la classe dominante et des institutions financières, non plus ! Mais il
se peut qu’une majorité de nos concitoyens, aux corps usés par le travail, y
aient mis quelque espoir. Voilà le crime. Voilà l’insupportable. Voici comment
on foule aux pieds la vérité et la confiance : le 16 mars 2025, deux
mois après cet engagement de maquignon, le Premier ministre jette aux orties
tout débat sur un retour de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans.
Le Parlement est floué, des députés qui avaient pu croire à la promesse
découvrent qu’ils ont été manipulés et les participants au fameux conclave sont
dépossédés des prérogatives que Matignon avait fait semblant de leur accorder.
La farce nous fait entrer dans une ère où non seulement le pays est dirigé
par ceux qui perdent les élections, mais en plus, leur parole est dépourvue de
toute valeur.
Sachant que son
opération n’aurait aucun débouché, le Premier ministre s’est tout de même
engagé sans jamais se sentir lié par cette promesse. Et en refusant de voter la
censure, au nom d’une prétendue stabilité qui spolie le peuple, la majorité du
groupe socialiste s’est rendue complice d’une inqualifiable tromperie :
c’est le fondement de la post-confiance qui s’infiltre dans les plaies de la
République jusqu’à l’étouffer. Celle qui piétine avec de lourds sabots la
démocratie. Celle qui déconsidère, chaque jour un peu plus, la politique. Celle
qui nourrit la bête immonde.
Dans l’actuel
paysage où toute la parole politique et médiatique est consacrée à discréditer
« la gauche » baptisée « extrême gauche » et à exciter les
divisions en son sein, à manier le hachoir contre les valeurs et les mots pour
en tirer des saucisses confusionnistes, l’extrême droite peut engranger
des dividendes électoraux, en se parant des draps de la République que délave,
jour après jour, un gouvernement où se retrouvent toutes les droites et les
traîtres à leur ancien parti. Toujours au nom du « réalisme »,
« de la stabilité » et « des principes de réalité » bien
sûr ! Langage, mille fois répété pour soumettre chacune et chacun à la
domination du grand capital.
Annoncer un
projet pour obtenir à l’instant une majorité afin d’accéder aux responsabilités
ou de continuer à occuper les palais de la République, alors que l’on sait que
cet engagement ne sera jamais mis en œuvre, fabrique ce co-voiturage entre
post-vérité et post-confiance. Le bouclier qui protège encore les puissants a
désormais besoin de toujours plus cultiver le « faire croire », peu
importe si c’est vrai ou faux.
Dans une
société aussi politisée que celle de la France, cela ne peut faire illusion
longtemps. Il n’y a aucune majorité pour mettre en œuvre une politique contre
les intérêts populaires, contre la transition écologique, ni pour continuer de
transférer tant d’argent vers le militarisme.
Voilà ce qui
explique la farce de la valse des ministres. Voilà, aussi, qui ouvre le
boulevard à toutes les aventures et autorise désormais certains penseurs et
journalistes bien en cour à souhaiter la prise de contrôle de l’État
directement par les propriétaires du capital, comme cela a commencé aux
États-Unis. Se creuse ainsi la brèche des contestations des « démocraties
libérales » pour des issues de droite radicalisée aux polycrises en cours.
De toute urgence, il est indispensable de faire revivre cette conquête
républicaine de premier ordre qu’est la citoyenneté. Elle fait de chaque personne majeure une actrice, un
acteur de la chose publique. Ce n’est possible que si le droit à l’information
exacte, le droit au savoir et le droit à la culture sont respectés. En même
temps, l’indispensable nouvel âge de la démocratie implique de combiner la
démocratie représentative à un Parlement élu à la proportionnelle, le primat de
celui-ci et du gouvernement contre la monarchie présidentielle et la démocratie
directe. Cette citoyenneté politique ne sera jamais entière si elle n’est pas
accompagnée par la conquête par les travailleuses et les travailleurs du
pouvoir sur le travail et sur la définition des productions, sur la création
monétaire, sur l’état et les, institutions européennes. C’est la condition pour
marier progrès démocratique, progrès social et progrès écologique. C’est
l’enjeu de l’heure, combattu de mille façons par les radicalisés de
l’accaparement de la plus-value.
P
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