La
fréquentation du pire finit par faire sombrer les consciences les plus alertes
dans une forme funeste de lassitude, de résignation passive. Déprimer pour
mieux opprimer : voilà sans doute l’arme la plus redoutable des puissants
décidés à enterrer tout projet égalitaire, prêts pour cela à débarrasser le capitalisme des
oripeaux démocratiques dont il
s’était un temps paré pour mieux asseoir sa domination sur le monde.
La prise de la
Maison-Blanche par le duo Trump-Musk donne le signal de basculements aux répliques
incalculables. Elle a été rendue possible par une sidérante coalition de
milliardaires et d’électeurs tenus dans la relégation sociale, culturelle,
économique, géographique. La clé de voûte de cette alliance cimente les chimères
technologiques, transhumanistes entretenues par un système en crise et la
promesse de protection, de préservation identitaire chère à l’extrême droite.
L’avènement d’un nouvel âge des foules, où les réseaux sociaux allument des
fièvres collectives propices à la désinformation, à toutes les manipulations, a
fait le reste.
Toute
technologie a deux versants : elle peut être mise au service de
l’émancipation comme de la domination, de l’exploitation. Sur Internet, le
mirage de l’horizontalité s’est hélas évanoui ; il laisse place au
cauchemar d’une jungle où de grands monopoles contrôlent seuls les circuits par
lesquels transite l’information, et les infrastructures d’utilité publique dont
ils combattent la régulation.
Sortir de cette
impasse implique de bâtir de nouvelles coalitions pour réhabiliter les
principes d’égalité, de liberté, de fraternité, pour élargir les enclaves
démocratiques qui restent, pour repenser une conception partagée du progrès
humain, dans les contraintes imposées désormais par le chaos climatique et
l’extinction de masse en cours. Cela ne pourra se faire par la seule grâce des
réseaux sociaux et des échanges virtuels. Le futur se joue dans les luttes,
dans les liens vivants qu’il nous appartient de renouer, loin des affects
tristes où nous confine le capitalisme pulsionnel des magnats de la tech
américaine.
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