C’était de Bordeaux à Toulouse, un jour, je voyageais
en train. Un petit homme en manteau rouge, pour le trajet, fut mon voisin. On
parla peu – des politesses – On échangea pour dire rien ; Il me parla de sa
jeunesse, puis s’endormit tout près d’Agen. Il bascula sur mon épaule, alors je
n’osais pas bouger : le vieillard, soudain, que c’est drôle, contre moi, parut
un bébé. Nous partageâmes ce voyage, bords de canal et grands palmiers. Moi, je
voyais les paysages et peut-être, lui en rêvait. Nous partageâmes ce voyage, au
cœur des vignes qui couraient. Moi, je voyais des paysages, comme la vie, qui
défilaient. Il portait une blanche chemise, sous le costume un beau gilet : son
manteau rouge, sa valise : Tout chez ce vieux était coquet. J’imaginais un
rendez-vous – une maîtresse ou des enfants – j’imaginais un rendez-vous, cela
devait être important. Les secondes gares défilaient, comme la vie de temps en
temps. Offrant deux minutes d’arrêt, pour repartir subitement. Nous, nous
poursuivions le voyage. Sur mon épaule, il semblait gai. Moi je voyais les
paysages, et peut-être, lui en rêvait. Je le sentais sur mon épaule, et
éprouvais ce sentiment, à la fois émouvant et drôle, d’être encore un petit
enfant. Soudain, je revis mon grand-père. Et je pensais en m’émouvant, à ce que
l’homme avait pu faire de ses amours et de son temps. Il avait du tonton
flingueur, presque une gueule de truand ; pas du « tout venant », un « seigneur
» : Ventura ou Robert Dalban. Je n’osais pas le réveiller. Ce tonton sur mon
corps gisant. Et j’en vins même à regretter quand le train quitta Montauban, de
devoir quitter Montauban. Nous allions finir le voyage sans un alcool frelaté.
Nous allions cesser le partage, sans avoir le temps de trinquer. Nous allions
finir le partage, tout en ayant si peu parlé. Une communion sans langage, mais
peut-être lui en rêvait. Dans le ronronnement des machines, dans le bruit sourd
des arrêts, l’homme avait dormi en sourdine, l’élégant n’avait pas ronflé. Je
sentis le moment où je devais le réveiller, mais je repoussais cet instant,
pour le laisser en profiter. Toulouse était le terminus, nous aurions le temps
du réveil, même la chance d’un peu plus. Pourquoi pas un verre fraternel ? Nous
finissions notre voyage ; Dans Matabiau, le train entrait. Nous finissions
notre voyage, Toulouse était ensoleillée. Nous finissions notre voyage, même
les silences sont comptés, ils font partie de nos bagages, comme les rêves et
les secrets. Soudain le train stoppa en gare, les voyageurs se pressèrent. On
les attendait quelque part, pour les amours ou les affaires. Je pris la main de
mon voisin, à son oreille je murmurais : « Monsieur, nous sommes dans le train,
mais le voyage est terminé ». Contre moi, semblant un bébé, le petit vieux
comme c’est drôle, avait cessé de respirer. Il était mort sur mon épaule. Nous
avions vu des paysages, connu des minutes d’arrêt. Et ce bien étrange voyage, à
mes côtés fut son dernier. Il était mort sur mon épaule, comme on meurt près
d’un être aimé. Je l’ai envié, comme c’est drôle, car peut-être, lui en rêvait.
Comme on meurt près d’un être aimé. Nous avions fini son voyage, à bord d’un
train ensoleillé. Dans ce Sud-Ouest qu’il aimait, il avait refait un passage.
Il était mort sur mon épaule, je l’ai envié comme c’est drôle, je sais depuis ma
mort rêvée.
lundi 6 janvier 2025
DEUX MINUTES D’ARRÊT ! UNE NOUVELLE IMAGINÉE !
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