samedi 30 mars 2024

Nouvelle « Vols dans le ciel ! »



Nous les envions, de vivre si haut et si libres. C’est une très grande joie que de suivre des yeux un vol de grues cendrées. Elles forment un gigantesque V qui ondule mais ne se brise pas, poursuivent une route mystérieuse vers des contrées lointaines que nous ne verrons jamais. Comment ne pas aimer cette déchirante beauté de ces vols qui disparaissent à l’horizon mais qui, pourtant, continuent de vivre quelque part. Ils expriment dans leur grandeur sauvage la blessure des regrets. C’est à l’automne que l’on aperçoit le plus de vols dans le ciel, les palombes en octobre, les grues cendrées en novembre, et au cœur de l’hiver, ceux des vanneaux. Ces oiseaux de passage ont tendance, sans doute à cause des modifications climatiques, à s’attarder chez nous. Le plus secret d’entre eux est la bécasse. On l’attend, on l’espère, or elle ne voyage pas en groupe mais seule. C’est cet oiseau qui exprime le mieux le mystère du passage. Ces oiseaux fragiles et magnifiques sont dans la mort d’une tristesse infinie. En revanche, dans la vie, leurs yeux d’un noir brillant savent voir ce que nous ne verrons jamais. Auparavant, apercevoir un héron tenait du miracle. Aujourd’hui, ils sont plus nombreux dans les prairies, dans les lits des rivières et près des lacs. C’est toujours un enchantement que de surprendre l’un d’eux, une patte levée, cherchant dans l’eau basse l’ablette ou le gardon dont ils se nourrissent. Ils sont devenus de moins en moins farouches. Leur vol, d’une extrême souplesse, est une merveille de grâce et d’équilibre. Le gris de leur plumage ressemble à celui des ciels de neige. Ils étonnent toujours le regard par leur grandeur inhabituelle en des lieux où les oiseaux sont de moindre envergure. C’est le cas des rapaces, qui, eux, pour la plupart, ne migrent pas et nichent au plus haut des arbres. Le plus répandu est la buse, qui tourne tout le jour sur les ailes du vent, pour guetter une proie jusqu’au cœur des basses-cours. C’est un bel oiseau, aux plumes rousses, à l’œil violent, dont le vol lourd est silencieux. Comme celui des milans, qui demeurent des heures, suspendus au plus haut du ciel, et dont l’appel bref et rauque trahit une inquiétude pour les oisillons restés au nid. Depuis quelques années, les cormorans, qui, il y a dix ans, ne peuplaient que les bords de mer, ont rejoint les éperviers et leur disputent leur pitance. J’ai horreur de ces grands oiseaux noirs, au cou tordu, qui peuvent rester plusieurs minutes dans l’eau et dévastent lacs et rivières. Pour quelles raisons ont-ils quitté les rivages de la mer pour passer l’hiver sur les plans d’eau et rivières ? Nul ne le sait vraiment. Quelque chose s’est rompu dans l’équilibre de ces espèces. Les migrateurs ne sont plus les mêmes et bon nombre de ceux qui migraient sont devenus sédentaires. Le monde a changé. Les oiseaux aussi. Comme parfois, les êtres humains, ils ont perdu leurs repères. Pas tous heureusement ; les oies sauvages et les grues cendrées continuent de tracer les mêmes routes, très haut, dans le ciel d’automne, et notre regard peut les suivre jusqu’à l’horizon dans lequel elles se fondent. Quand elles ont disparu, nous savons qu’elles continuent de vivre quelque part. Chaque fois, en les perdant des yeux, on peut penser aux mots magiques de Saint-John Perse : « Doublant plus de caps que n’en lèvent nos songes, ils passent, et nous ne sommes plus les mêmes.

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