vendredi 19 janvier 2024

Emmanuel Macron et son nouveau «rien à foutre de la gauche» (Lu dans Libération)



Il fut un temps où, pour contrer le RN, le chef de l’Etat en appelait aux électeurs progressistes. Aujourd’hui pour contrer l’extrême droite, il mène tout simplement une politique de droite.

Il fut un temps où Emmanuel Macron prenait bien soin de parler et d’envoyer des signes à la partie, non négligeable, de l’électorat de gauche, sans laquelle il n’aurait pas été élu, puis réélu. Ce temps est révolu. Son équipe, son vocabulaire, ses référents symboliques et surtout ses réformes annoncées sont de droite, sans ambages, sans plus de soucis d’équilibre. Emmanuel Macron ne s’adresse plus à la gauche, même lorsqu’il s’agit de dénoncer le Rassemblement national et Marine Le Pen.

«C’était mieux avant»

Là, le reproche mis en avant est de l’ordre de «l’irresponsabilité économique» ou du doute sur les compétences de la cheffe du parti d’extrême droite, plus jamais sur son racisme ou son illibéralisme. Emmanuel Macron a – tout au plus – précisé lors de sa conférence de presse que sa politique migratoire était plus vertueuse que celle proposée par le RN puisque, lui, ne voulait pas réviser la Constitution à ce propos. Une position bien fragile alors que le texte est en ce moment entre les mains du Conseil constitutionnel pour examen, et qu’il se pourrait qu’une bonne partie, s’agissant de prestations sociales différenciées entre Français et étrangers en situation irrégulière, soit déclarée comme étant de la pure et simple préférence nationale et donc hors des clous de la loi fondamentale.

Les thèmes de la conférence de presse, la sémantique conservatrice «sépia» (le terme s’est imposé ces derniers jours dans les commentaires) de ce «rendez-vous avec la nation» en forme de grand-messe des années De Gaulle, ou plutôt des années 1960, le préfixe «ré» – «réarmement», «régénération»… – qui suggère au parti Renaissance de retrouver une situation disparue, décrivent une orientation nettement conservatrice. L’idée du retour à l’autorité bien plus martelée que l’élément classique du macronisme progressiste d’avant, «l’émancipation», achève de donner une explication droitière du monde. La généralisation du Service national universel ne dit rien d’autre que «c’était mieux avant», du temps du service militaire obligatoire. L’expérimentation de l’uniforme à l’école (la «tenue unique») flatte les souvenirs, forcément nostalgiques, de ceux qui étaient en primaire dans les années 60 et 70. Avec – comme sous-texte – l’idée selon laquelle la fin de la blouse est un dérivé fâcheux de la perte de l’autorité du maître depuis Mai 68.

Imaginaire fantasmatique

Il s’agit là d’accompagner une impression de décadence ressentie par les conservateurs ou les nostalgiques alors que la disparition de la blouse scolaire au début des années 70 a des causes beaucoup plus rationnelles : la généralisation du stylo-bille (donc la fin des tâches d’encre) et l’arrivée dans quasiment tous les foyers de machines à laver le linge ainsi que l’explosion du prêt-à-porter qui ont radicalement changé les habitudes vestimentaires. Il n’y avait, alors, plus besoin de protéger un pantalon, une jupe ou un pull que les élèves pouvaient porter plusieurs jours de suite. Voilà la vraie et la seule raison de la disparition de la blouse : on n’en avait plus besoin. Emmanuel Macron préfère, lui, mobiliser un autre imaginaire fantasmatique.

Autre manifestation flagrante de la fin du souci de ménager l’opinion de gauche : tous les ministres issus de la gauche ayant émis un doute sur la loi immigration (Clément Beaune) ou pris leurs distances, explicitement (Rima Abdul Malak) ou en off (vous trouverez par déduction et élimination…) avec l’idée présidentielle selon laquelle Gérard Depardieu constitue une «fierté française» ont été remerciés. Le débauchage provocateur de Rachida Dati est le clou symbolique du nouveau «rien à foutre de la gauche». Une sarkozyste pur jus pour remplacer Rima Abdul Malak, appréciée du monde de la culture, démontre que ce gouvernement est avant tout une arme contre le RN dans le cadre des élections européennes de juin. Il fut un temps où, pour contrer le RN, Emmanuel Macron en appelait aux électeurs de gauche. Aujourd’hui pour contrer le RN, il mène une politique de droite. On souhaite bien du courage au successeur d’Emmanuel Macron s’il veut pouvoir demander aux électeurs de gauche de faire à nouveau barrage à l’extrême droite.

 

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