Exigence : Si le passé reste pour tout littérateur de l’actualité une
provision pour la route plutôt qu’une usure, « pratiquer » un peu
d’Histoire nous enseigne toujours sur notre ici-et-maintenant en tant
qu’exigence. Ainsi en est-il du journaliste Jean-Michel Aphatie et du maître de
conférences en science politique Olivier Le Cour Grandmaison, coauteurs d’une
tribune pour le moins courageuse dans les colonnes du Monde, ce
24 octobre, dont le titre pourrait devenir un slogan pour tout républicain
digne de ce nom : « La glorification du maréchal Bugeaud n’a que trop
duré ».
Les mots se
veulent évocateurs et offrent une occasion rêvée au bloc-noteur de s’attarder
sur la figure abjecte de Robert Bugeaud, marquis de La Piconnerie, duc d’Isly,
maréchal de France né en 1784 et mort en 1849. Dans leur texte à charge,
Jean-Michel Aphatie et Olivier Le Cour Grandmaison plante le décor : « Le
5 septembre 1853, il y a cent soixante-dix ans, avec le soutien de
Louis-Napoléon Bonaparte qui, après avoir abattu la seconde République, a
proclamé l’Empire, les autorités de Périgueux ont inauguré la statue du maréchal Bugeaud. » Et ils précisent : « Comme
on peut encore le lire sur le piédestal, il est honoré en tant que » grand
homme de guerre », qui s’est notamment illustré au cours de la
« pacification » et de la « colonisation » de
l’Algérie. »
« La glorification du maréchal
Bugeaud n’a que trop duré. »
Massacres : « Pacification » ? La formule est
évidemment devenue une rhétorique odieuse, dénoncée par les
coauteurs : « À dessein apologétiques et abstraits, ces
termes recouvrent de terribles réalités constitutives d’une guerre totale,
conçue et appliquée par celui qui, depuis 1840, est gouverneur général de cette
colonie. »
Autant de
conflits destructeurs et meurtriers. Aux oasis, villages et agglomérations
diverses anéantis en tout ou partie s’ajoutent massacres, tortures, déjà,
déportations en masse des populations autochtones également soumises à des
« enfumades », au cours desquelles des tribus entières ont été parfois exterminées. Aphatie et Le Cour Grandmaison ajoutent : « Bugeaud
n’a pas été seulement le bourreau des « indigènes » algériens qu’il a
soumis aux méthodes que l’on sait, depuis longtemps connues et désormais
parfaitement documentées. Devenu maréchal de France en 1843, il fut aussi un ennemi redoutable de la République qu’il haïssait. » Le même Bugeaud, qui déclara aux
premières heures de la révolution de février 1848 : « Eussé-je
devant moi cinquante mille femmes et enfants, je mitraillerais. »
Mémoire : Nous partageons le même constat. « Qu’un tel
personnage soit toujours honoré par la République ne laisse pas de surprendre.
En effet, des rues Bugeaud existent à Albertville, Bergerac, Lille, Lyon,
Marseille, notamment. À Limoges, c’est un cours, à Meudon un square, et à Paris une avenue et
une statue sur la façade du musée du Louvre », écrivent les deux dénonciateurs, qui
soutiennent donc toutes les initiatives visant à débaptiser tous ces lieux et
affirmant au passage que, « agir de la sorte, ce n’est pas céder
aux dangers supposés du wokisme ou de la cancel culture ». Ne pas oublier les fantômes de notre
passé ne constitue pas une offense à la France. C’est, au contraire, un travail
de mémoire et un devoir d’Histoire.
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