samedi 3 juin 2023

Nouvelle : « Le premier des biens »



Nous savons qu’elle est précieuse, qu’elle manque à beaucoup d’êtres humains aujourd’hui de par le monde, mais nous avons oublié aussi qu’elle manquait à nos grands-parents, contraints d’aller la chercher au puits ou à la fontaine. J’y suis allé à la fontaine, il y a déjà très longtemps. C’était dans la rue voisine à celle où je suis né, dans la baraque en bois, au 37, rue des groseilliers à Montreuil. J’entends encore le souffle de ma grand-mère près de moi. Je me souviens des précautions qu’elle prenait pour ne pas renverser la moindre goutte. Je me souviens aussi de ce puits, au beau milieu de la cour. Il nous servait à mettre au frais le beurre, le lait. Le tout placé dans un panier à salade attaché à une corde. Et puis les sources. J’en connais une. C’était dans l’Ardèche, à Lussas. On y accédait par un long chemin empierré qui semblait mener nulle part. Un kilomètre en aval, pourtant, un vieux moulin dressait ses bâtiments sur le bief du ruisseau. Au détour du chemin, la source apparaissait. Des galets blanchâtres soulignaient la splendeur de cette eau. Elle n’est ni bleue, ni verte, c’est une eau de cristal, d’une extrême fraîcheur, qui laisse sur le visage la sensation d’un vent de neige. Une sensation qui dure, qui porte au frisson. Le ruisseau, l’Ozon, tout proche, clair, sauvage, à l’eau si froide qu’elle paralyse les mains et les jambes. Il était peuplé de truites que je traquais sans répit, mais pas toujours avec succès. Il ne se taisait jamais : chuchotant, murmurant, cascadant sur les pierres, leur chanson nous accompagnait tout au long des journées. Les grandes rivières, contrairement aux ruisseaux sont solitaires, farouches et ne se rendent qu’à la mer. Elles dévalent des montagnes avec la vigueur d’une folle jeunesse, puis elles s’apaisent dans les plaines, deviennent adultes en s’élargissant, ralentissent, vieillissent, jusqu’à se fondre dans la mer. Leurs eaux sont claires puis bleues, puis vertes, puis grises. On ne peut pas les retenir comme on le fait avec les ruisseaux. Les rivières n’appartiennent à personne. Leurs eaux non plus. Entre montagne et mer, elles irriguent la terre comme le réseau sanguin notre corps.

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