samedi 22 octobre 2022

Nouvelle : « Eté 1914, un village en terre Occitane ! »



Dès le début de 1914, certains s’inquiétaient des bruits de guerre. La plupart ne voulaient pas y croire. Le 28 juin 1914, l’archiduc François Ferdinand et son épouse furent assassinés à Sarajevo. Mais leur mort n’eut pas de grandes répercussions sur ce coin du bas Quercy. Un homme mourait en Serbie, mais pour la famille Laurent, ses voisins, la préoccupation essentielle venait du ciel : en ce mois de juin, les orages précoces s’étaient succédé pendant une quinzaine, gâtant les foins, les empêchant de bien sécher. Et chacun priait le ciel – ou l’injuriait selon ses croyances – pour que le soleil et la chaleur soient au rendez-vous des moissons. Personne au village n’aurait pu dire où se trouvaient les Balkans, sauf la maître d’école, et peut-être le curé, à qui personne d’ailleurs ne le demandait. Quelques hommes portés par la politique, membres d’un parti ou ouvriers syndiqués en parlaient au café, à la sortie de l’usine, sur le marché ; parfois des querelles violentes s’élevaient entre partisans de la revanche et pacifistes proches de Jaurès, mais les soucis quotidiens, récoltes, ventes, semailles chassaient vite ce sujet. En juillet, le ciel fut favorable et généreux. Aux orages succéda une bonne chaleur, pas de celles qui grillent tout mais une chaleur honnête qui laisse les matins clairs et les nuits fraîches et font croire que la nature est une bonne mère. Jamais les blés ne furent si hauts et les épis aussi grenue que cette année-là. Quelques bonnes averses, suivies de grand soleil en firent une année de champignons. Les enfants couraient les bois dès l’aurore et ramenaient des paniers pleins de cèpes noirs et fermes et de girolles parfumées. À mesure que les nouvelles atteignaient le village, certains, malgré tout, s’inquiétaient, le temps d’une conversation, à la fin du repas, à la sortie de l’église, sur un pas de porte. Mais on les faisait taire bien vite : « La guerre ! Ne parlez pas de malheur que çà l’attire ! Mais personne n’en veut de la guerre. » Et chacun partait vaquer à ses occupations. En plein travaux d’été, l’assassinat de Jean Jaurès, presque un enfant du pays que tous, même ceux qui ne partageaient pas ses idées, respectaient, perturba les esprits et les conversations. Le 1er août, dans l’après-midi le père Laurent s’était rendu à Saint - Antonin. Il rentra plus tôt que prévu, ramenant la nouvelle. Tous les journaux en faisaient leur « Une » : « L’empereur d’Allemagne décrète l’état de siège » et annonçant aussi la mobilisation et en gros : « Jaurès assassiné ». En fin d’après-midi le père Laurent lut les divers articles concernant le député du Tarn et « le lâche et abominable attentat qui endeuille notre France » à la famille rassemblée que cousins et voisins avaient rejointe. Il lut aussi les articles sur la mobilisation générale, appelant à la cessation des querelles et divisions entre partis et à l’union contre la « barbarie germanique ». Quand il se tut, tous restèrent silencieux un moment. Le fils aîné des Laurent, qui, jeune ouvrier en chapellerie, proche des syndicats et de la SFIO admirait Jaurès et lisait l’Humanité s’indigna : « Ah ! Ils ne se sont pas trompés, les salauds qui l’ont fait assassiner ! C’était le meilleur de nos dirigeants, intègre, ne se souciant que des ouvriers et de leurs droits, pas comme ces vendus de radicaux. Il y a un an encore, il s’était élevé contre le rétablissement du service militaire à trois ans. Et il se battait contre cette guerre que les capitalistes nous préparent ! Maintenant tout peut arriver. Je vous avais avertis que ça irait mal quand ils ont tué l’archiduc, vous ne vouliez pas me croire. Nous allons à la catastrophe ! » Les « Laurent » étaient aux champs, quand les cloches se mirent à sonner d’un carillon lent et grave. Té, quelqu’un est mort, dit l’un. Non, c’est ce n’est pas le glas qui sonne, murmura l’autre, soudain attentif, c’est le tocsin. Peut-être le feu ? Mais voici qu’un autre clocher s’y mettait aussi, puis d’autres, encore plus loin. Ravi de toute cette musique le plus jeune fils Laurent, se mit à frapper dans les mains et sauter sur place en chantant. « Tais-toi, petit malheureux, dit son père, ce n’est pas une fête, il se passe quelque chose de très grave. Ah ! Quel malheur, ce qu’on craignait est arrivé ! vite on rentre ! « C’est la guerre, dit le père Laurent à son jeune fils. Je vais être mobilisé, ton oncle, ton cousin, et aussi ton plus grand frère. Nous allons tous partir et très vite ! Tous les hommes depuis la classe 90 jusqu’à ce jour sont appelés sous les drapeaux, mais ne t’inquiète pas, nous ne serons pas longs ! On va leur mettre la pâtée aux boches, et reprendre ce qu’ils nous ont volé. Et nous serons de retour pour les vendanges ».

Après les ordres de mobilisation, les feuilles de route arrivèrent. On n’avait jamais tant vu le facteur dans les fermes et le village. Partout il y avait des hommes, jeunes et moins jeunes, parfois plusieurs dans la famille, qui préparaient leurs paquetages, rassurant les femmes. Le matin du départ fut des plus tristes. Personne ne put rien avaler au déjeuner. Sept heures pétantes, Ils partirent. Pour tous le temps de l’attente commença : le facteur, des nouvelles, de la fin de la guerre surtout. La première lettre arriva. Le père Laurent parlait de l’accueil chaleureux des populations des villes traversées. Tout allait bien, le moral était bon, il ne tarderait pas à revenir. Les années passèrent, avec les vendanges. Le père Laurent, l’oncle, le cousin et le fils aîné ne reviendront pas, tout comme la plupart des hommes du village. Quelle connerie la guerre !

 

 

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