Que lui restera-t-il de sa vie d’avant,
qu’il vient de quitter définitivement ? Les pleurs de sa mère et sa
dernière étreinte, le regard de son père qui au nom de croyances ancestrales
et de sa virilité, s’est durci,
s’efforçant de ne rien montrer, les baisers de ses frères et de sa petite sœur
de 4 ans, pourra – t
– il les revoir un jour ? Dans la
demi-pénombre du soir qui tombe, le jeune adolescent a quitté la plage avant la
marée basse, très rapidement,
trop rapidement. Il aurait voulu que ce moment tant attendu, qui lui sembla si
court, durât plus longtemps pour pouvoir s’imprégner de l’image des lumières de
son pays, s’éloignant pour toujours. Depuis combien de jours, était-il sur
cette pirogue tassé au milieu de ses compagnons
d’infortune ?
En fin de nuit le vent se renforce sur la mer,
la pirogue tangue sur les vagues ; il n’a pas peur, il est habitué
aux caprices de l’océan pour avoir pêché avec son père sur ces mêmes
embarcations quand il y avait encore assez de poisson pour nourrir toute la
famille. Il regarde le ciel rosir dans les prémices de l’aurore. Le soleil sort
timidement de son bain nocturne. Dans l’horizon qui s’illumine, un paquebot
géant des mers remplis de touristes se découpe. Il
les envie un moment. Eux aussi veulent quitter quelques temps des
lieux connus et leur quotidien
pour des destinations de rêve pense-t-il soudain. Peut-être un jour quand il
aura gagné beaucoup d’argent en France, il pourra faire un tel voyage. Il s’en
veut aussitôt de cette pensée. Il s’interdit maintenant de rêver à long terme,
d’en vouloir plus alors que pour le moment il n’est même pas certain d’arriver
à destination. Le vent se renforce encore. Certains de ses compagnons sont
malades : le manque de sommeil, le froid, la peur, le mal de mer.
L’arrivée est proche si l’on en croit le passeur. Ils ne pourront pas tenir
bien longtemps. En attendant, il résiste, chante de vieilles chansons
sénégalaises, raconte des histoires pour réconforter ses compagnons : tuer le
temps, chasser la peur.
Les vagues sont de plus en plus hautes et heurtent
violemment la pirogue…. Le souci de l’instant tenir,
tenir encore… Chanter de plus en plus fort, se serrer les uns contre les
autres pour se réchauffer….Un jour passe, une nuit puis un autre jour et
soudain la côte espagnole apparait, ils vont débarquer sur la plage qui
s’approche, s’approche…. Ils ont réussi. Le jeune adolescent devrait être gai mais
il pleure, il pense à tous ces hommes et femmes, certains des amis, qui n’ont
pas eu cette chance et ont péri en mer pour avoir voulu être heureux.
lundi 11 octobre 2021
Nouvelle : « l’Eldorado ? »
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