MARX : « Le noyau
social de nos sociétés est menacé par le développement capitaliste, qui tend à
rompre nos liens, empêcher qu’on les entretienne, et tend à fabriquer des êtres
plus vraiment sociaux, donc plus vraiment humains. » En mesurant la portée politique de cette citation, le bloc-noteur doit bien admettre qu’il vient de réparer une
erreur : celle d’avoir tardé à lire Faire ensemble :
Reconstruction sociale et sortie du capitalisme (éditions du Seuil, 2024),
du philosophe français et professeur de philosophie à l’université Paris-I
Panthéon-Sorbonne Franck Fischbach, tout récent lauréat du prix 2025 des
Rencontres philosophiques de Monaco.
Ce livre réjouissant,
sorti à la fin de l’année dernière, traînait sur le bureau depuis des mois,
laissé de côté, et chaque fois qu’il ressortait de la pile à la faveur de
nouveaux arrivages, c’était en permanence une invitation à la puissance des
idées. Il fallait s’y coller. Et quel bonheur ! S’inspirant de Karl Marx
et de l’idéologisme allemand pour proposer une critique renouvelée du travail et des effets du
capitalisme sur nos sociétés, Franck Fischbach affirme que ses lectures des
philosophes allemands classiques (Hegel, Schelling, Fichte) ne se sont jamais
décorrélées des enjeux politiques et sociaux de notre temps…
RÉENRACINER : Si Franck
Fischbach croit en effet qu’il y avait déjà dans les Principes de la
philosophie du droit (1820) de Hegel ou dans les Considérations sur
la Révolution française (1793) de Fichte des ressources pour regarder notre
époque, il admet surtout qu’il eut vite « conscience que la descendance
de Hegel, via Marx et la théorie critique de l’École de Francfort, conduisait
jusqu’au XXIe siècle ».
Auteur d’un
éblouissant Manifeste pour la philosophie sociale, en 2009, Franck
Fischbach a voulu, dans tous ses travaux, réenraciner la « philosophie
sociale », elle-même héritière de la fin du XVIIIe siècle
et contemporaine de la Révolution française, avant de tomber un peu en
désuétude en France, contrairement à d’autres traditions nationales, singulièrement
en Allemagne. Selon lui, la philosophie sociale a ainsi irrigué en France des traditions
philosophiques différentes, en particulier le marxisme sous ses formes
hétérodoxes (Henri Lefebvre, Cornelius Castoriadis, Guy Debord, etc.), ou
encore la phénoménologie (Beauvoir, Sartre, Merleau-Ponty, etc.).
PRODUCTION : Rentrons dans
le vif. Pour Franck Fischbach, la
question du travail est revenue comme un boomerang, vers la fin des années 1990 et au début des années
2000. Il explique : « On a cru en avoir fini avec le travail, au
point qu’on a même pu parler de « fin du travail », avec Jeremy
Rifkin par exemple. Jusqu’à ce qu’on comprenne que le sens véritable des
transformations du travail depuis le début des années 1980 avait été
d’orchestrer non pas sa fin grâce à la technologie, mais l’intensification du
taux d’exploitation de la force humaine de travail grâce aux nouvelles
techniques managériales. »
Franck Fischbach parle non pas de « la fin du travail, mais au
contraire (du) retour de l’exploitation sous des formes renouvelées ».
En référence à Marx, évidemment, le philosophe français distingue « le
travail » et « la production », en quelque sorte l’« impératif
productif, lié à des processus qui aboutissent à nier la
dimension qualitative des travaux effectués – ce que Marx appelait
leur « valeur d’usage » – et à ne plus les considérer que comme des
moyens d’accumuler quantitativement de la valeur ».
Franck
Fischbach n’hésite d’ailleurs pas à donner une dimension anthropologique dans
ce qu’il nomme une « synthèse bio-sociale », de sorte qu’il
existerait un rapport social rationnel entre les humains et les autres vivants.
À la question : « Est-ce là l’alternative, le
communisme ? », il répond : « Tout à fait. Il
n’y a pas de raison justifiée de limiter l’agir coopératif aux seules sociétés
humaines. » Et il précise : « La reproduction de la
société est désormais subordonnée à la production économique. Dans les sociétés
historiquement antérieures au capitalisme, c’était le contraire : la
production économique était au service de la reproduction de la société. »
À méditer, non ?
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