jeudi 3 avril 2025

« François Bayrou « troublé » par la condamnation de Marine Le Pen : l’État de droit en ligne de mire », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



L’avantage de la langue de caoutchouc sur la langue de bois, c’est qu’elle est malléable et permet de dire sans dire, tout en disant. Concernant le jugement de Marine Le Pen et ses coaccusés, le premier ministre s’est refusé à « critiquer une décision de justice », laquelle doit bénéficier « d’un soutien inconditionnel », mais s’est dit « troublé » et « interrogatif » en tant que citoyen. Devant la représentation nationale, François Bayrou a ainsi fait preuve d’une étonnante dissociation de la personnalité. Soit le premier ministre n’est pas un citoyen, soit le citoyen ne connaît pas le premier ministre

On pourrait en sourire s’il n’avait pas activé, d’une manière qu’il faut bien dire cauteleuse, le moulin anti-juges du Rassemblement national, tel qu’il tourne à plein régime depuis le début de la semaine, dans un climat dont on ne peut ignorer qu’il devient menaçant.

Le trouble du premier ministre aurait-il un lien avec la décision in fine de l’extrême droite, en février, de ne pas voter la censure afin, selon les mots de Jordan Bardella, d’éviter « l’incertitude », lui permettant ainsi de rester à son poste ? Par respect de la fonction, on ne fera pas ce procès. Reste que ses propos, comme ceux du garde des Sceaux Gérald Darmanin viennent semer un doute, dont l’opinion n’a vraiment pas besoin, sur ce que certains appellent déjà « la tyrannie de la justice » et des « juges rouges ».

C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Paris a annoncé, deux jours à peine après la décision du tribunal, qu’un nouveau procès, en appel donc, pourrait être envisagé dès juillet 2026. Nombre de justiciables ne bénéficient pas d’une telle célérité. On ne saurait mettre en cause l’indépendance des magistrats à l’origine de cette décision, mais cela n’interdit pas de penser qu’ils ont été sensibles à l’air de ces jours-ci.

D’ici là, certains tablent sur un changement législatif favorable. Déjà, Éric Ciotti entend déposer un projet de loi supprimant la mesure d’inéligibilité prévue pour les élus condamnés. Autant dire que le détournement de l’argent public pourrait faire bon ménage avec les plus hautes fonctions publiques. C’est dans l’État de droit qu’il y a du trouble.

 

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