L’avantage de
la langue de caoutchouc sur la langue de bois, c’est qu’elle est malléable et
permet de dire sans dire, tout en disant. Concernant le jugement de Marine
Le Pen et ses coaccusés, le premier ministre s’est refusé à « critiquer une décision de
justice », laquelle doit bénéficier « d’un soutien inconditionnel »,
mais s’est dit « troublé » et « interrogatif »
en tant que citoyen. Devant la représentation nationale, François Bayrou a
ainsi fait preuve d’une étonnante dissociation de la personnalité. Soit le
premier ministre n’est pas un citoyen, soit le citoyen ne connaît pas le
premier ministre
On pourrait en
sourire s’il n’avait pas activé, d’une manière qu’il faut bien dire cauteleuse,
le moulin anti-juges du Rassemblement national, tel qu’il tourne à plein régime
depuis le début de la semaine, dans un climat dont on ne peut ignorer qu’il
devient menaçant.
Le trouble du
premier ministre aurait-il un lien avec la décision in fine de l’extrême
droite, en février, de ne pas voter la censure afin, selon les mots de Jordan
Bardella, d’éviter « l’incertitude », lui permettant ainsi de
rester à son poste ? Par respect de la fonction, on ne fera pas ce procès.
Reste que ses propos, comme ceux du garde des Sceaux Gérald Darmanin viennent
semer un doute, dont l’opinion n’a vraiment pas besoin, sur ce que certains
appellent déjà « la tyrannie de la justice » et des « juges
rouges ».
C’est dans ces
conditions que la cour d’appel de Paris a annoncé, deux jours à peine après la
décision du tribunal, qu’un nouveau procès, en appel donc, pourrait être
envisagé dès juillet 2026. Nombre de justiciables ne bénéficient pas d’une
telle célérité. On ne saurait mettre en cause l’indépendance des magistrats à
l’origine de cette décision, mais cela n’interdit pas de penser qu’ils ont été
sensibles à l’air de ces jours-ci.
D’ici là,
certains tablent sur un changement législatif favorable. Déjà, Éric Ciotti
entend déposer un projet de loi supprimant la mesure d’inéligibilité prévue
pour les élus condamnés. Autant dire que le détournement de l’argent public
pourrait faire bon ménage avec les plus hautes fonctions publiques. C’est dans
l’État de droit qu’il y a du trouble.
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