mardi 29 mars 2022

Nouvelle : « La fille de la vieille dame » !



La vieille dame la reconnait mais ne sait plus exactement pourquoi elle est là. Elle tremble et remâche inlassablement le présent. Et le présent n'est rien s'il est détaché du passé, s'il ne parvient plus à désirer l'avenir. Avec la vieille dame, il est un enfer de l'instant. L'instant qui dit et redit l'angoisse. Sa fille vient souvent la voir. Elle lui parle, l’a fait parler et parfois elle doit lutter contre l'endormissement. La vieille dame se souvient qu'elle va en maison de retraite mardi et demande à sa fille, toutes les dix minutes : et tout ça ? Désignant les objets et les meublent qui garnissent son salon. Et, sa fille ne sait pas quoi répondre. Tout ça, est accumulation qui nous donne l'impression d'être éternel. Tout ça. Pour avoir souvent déménagé ces trois dernières années, pour avoir aidé la vieille dame à vider une maison de famille, pour avoir trié les affaires des disparus, la fille sait combien certaines choses deviennent poussière, vieillerie, illusion... une fois sorties de leur contexte. Les objets n'existent qu'à travers notre regard. Sinon les objets s'en foutent. Elle ne sait pas quoi dire à la vieille dame. Elle sait le partage de l'héritage à venir, mais il ne la concerne pas. La vieille dame lui donne une photo de son mari décédé avec dans ses bras une de ses filles. Elle a toujours vu cette photo sur le mur du bureau, mais la regarde pour la première fois. De la poussière sur son propre passé. Puis elle quitte un moment l'appartement et va saluer la voisine de palier chez qui elle s'attarde une demi-heure. Quand elle revient, la vieille dame est paniquée. Elle attrape sa main, elle dit son prénom avec force. Sa fille lui dit : calme-moi, calme-moi. Elle prend ses mains, ses bras. La vieille dame ferme les yeux, sa tête tombe et sa fille pensait qu'elle allait mourir. Elle se dit que c'est peut-être aussi bien. Elle voudrait que le drame s'arrête. Elle se sent capable de recevoir sa mort. Mais les yeux s'ouvrent  à nouveau et la litanie des questions reprend : et tout ça ? Et tout ça ? Elle serre ses mains,  lui caresse les bras. Une bise avec les lèvres qui ne touchent pas la joue. Alors, elle pense à la vieille dame qu’elle sera un jour,  et à celle qui voudra bien lui caresser la peau. En partant, elle revient sur ses pas, et serre sur son cœur la photo sur laquelle son grand-père tient sa fille dans ses bras.

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