mardi 9 novembre 2021

DAVID : « MARAT ASSASSINÉ »

 


La patrie est en danger et la République en péril. Le Comité de Salut Public vient d’être créé. C’est l’année terrible. Marat, ami de Robespierre, député à la Convention, rédacteur en chef de « l’Ami du peuple », est un tribun ardent, mais ombrageux et violent ; un patriote intransigeant, pour les uns, un démagogue haineux pour les autres. Le 13 juillet 1793, une jeune royaliste des Caen, Charlotte Corday, s’introduit chez lui à la faveur d’un subterfuge et le poignarde dans sa baignoire où il a coutume de passer de longues heures à soigner une horrible maladie de la peau.

David qui était collègue de Marat à la Convention voyait en lui un modèle de la « Vertu » antique. Le lendemain du meurtre, David est invité par la Convention à régler la pompe funèbre et à peindre son portrait. Il accepte ave élan, mais la décomposition du corps rongé par une sorte de lèpre l’empêche de donner une représentation exacte de la victime et son émotion le porte à idéaliser l’image.

Il achève son tableau en octobre et l’offre à la Convention avec celui, aujourd’hui perdu, qu’il avait fait de Le Pelletier de Saint-Fargeau, régicide assassiné la veille de l’exécution de Louis XVI par un ancien garde du corps. Les deux tableaux resteront accrochés dans la salle des séances de la Convention jusqu’en février 1795.

 Dans ce portrait, David, d’instinct, s’éloigne de l’instantané et de l’allégorie et recherche dans la composition un idéal de simplicité et de grandeur auquel il atteint plus complètement peut-être que dans les tableaux antiques qui avaient fait sa réputation précédente.

David a remplacé le papier peint à décor de pilastres, qui, dans la réalité, tapissait la salle de bain de Marat, par une matière apparemment neutre, frottis gris-brun strié de reflets, qui occupe toute la moitié supérieure du tableau, organisant ainsi de façon solennelle la mise en scène. Le silence sacré qui tombe de ce grand pan dégradé de luminosité compose le recueillement de la scène et accuse le relief du sujet.

Marat est en train d’expirer, les paupières retombent, la tête pèse sur l’épaule, le bras droit glisse par terre. Le corps de Marat, idéalisé par David, est celui d’un homme sain, jeune encore. On pense inévitablement à une descente de Croix. Le visage marque la souffrance, mais aussi la douceur et le début de l’apaisement qui efface les dernières contractions. Autour, David a disposé quelques détails empruntés à l’univers familier de son modèle, le tapis vert, le drap blanc, la caisse de bois, et en a ajouté deux autres, le couteau et la supplique. Il a voulu ainsi montré à la fois la simplicité et la générosité de la victime comme la perfidie de l’assassin.

Le visage, le corps, les objets sont baignés d’une lumière claire, adoucie sur les traits de la victime, vive sur la supplique de la meurtrière. Il laisse à l’ombre le soin de compléter le modèle. Dans ce jeu sobre et subtil, se retrouve, en intime accord avec le dessin, le double sentiment de compassion et d’offense que le peintre éprouve devant la victime. L’inscription À MARAT, DAVID. L’AN DEUX témoigne, par sa rhétorique concise de la ferveur de l’hommage.  Ce tableau émouvant emprunte sans doute l’essence de sa beauté à la synthèse qu’il offre du sens de la vie et du sens de la mort. C’est presque une nature morte et presque un portrait vivant. La noblesse de la fracture et la franchise de la lumière confèrent une mâle grandeur à ce tableau qu’on a pu baptiser de Piétà révolutionnaire.

Ce tableau fut l’objet immédiat d’éloges dithyrambiques, puis, rendu par la Convention à son auteur en 1795, il ne ressortit de l’ombre qu’à la mort du peintre. Incompris par les romantiques qui n’y voyaient que classicisme et froideur, il fut remis à l’honneur par Baudelaire qui a écrit de lui : « Ceci est le pain des forts et le triomphe du spiritualisme ; cruel comme la nature, ce tableau a tout le parfum de l’idéal. Quelle était donc cette laideur que la Sainte Mort a vite effacée du bout de son aile ? Marat peut désormais défier Apollon, la Mort vient de le baiser de ses lèvres amoureuses et il repose dans le calme de sa métamorphose. Il y a dans cette œuvre quelque chose de tendre et de poignant à la fois : dans l’air froid de cette chambre, sur ces murs froids,  autour de cette froide et lugubre baignoire, une âme voltige. »

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